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En train, l’entrain.

jeudi 18 septembre 2014, par Grosse Fatigue

Il est des jours où le hasard frappe à la porte, et vient en gare. Ce fut le cas aujourd’hui, dès ce matin, quand les poisseuses habituelles sont montées dans le Train Express Régional. Je les maudis à chaque fois, car elles piaillent et caquètent, c’est la plèbe de Péguy, la populace qui existe vraiment, ça braille, ça roucoule, ça lit Gala™ mais pas souvent, ça pose ! Mais pas des questions.

Je rêvais gentiment que j’avais enfin gagné au loto, tout à mon sommeil toujours imparfait, que je m’achetais des vélos haut de gamme en surplus pour les offrir à des copains sans le sou, pour que l’on parcoure les bois à la recherche de notre éternelle jeunesse, quand elles sont arrivées. Inutile de chercher Morphée, partie à travers les champs, inutile de leur dire de la fermer, ce serait comme leur demander de changer d’opinion, alors qu’elles sont certaines d’avoir un avis sur tout. Oui, inutile. Alors des bribes me sont parvenues, j’ai tendu l’oreille pour prévenir les gens normaux - je ne sais pas trop lesquels, je m’y perds à la fin - et puis parce que je sens que ça ne va plus. « On va pas se laisser faire ! T’as vu Hollande ! Non mais au plus bas ! Moi, j’aimais bien Valls, mais qu’est-ce que tu veux qu’il fasse ? J’vais te dire, je vais pas me gêner. Je vais pas me gêner, tu vas voir ! Tu sais ce que je vais faire ? Oui je sais ce que tu vas faire. Moi aussi je vais le faire. Moi aussi dit l’autre puisqu’elles sont trois. Elles vont se venger. De Hollande. Ou d’autre chose. Elles sautent du coq à l’âne. La voilà qui attend la lettre recommandée d’Orange™ ou de SFR™, elle ne va pas se laisser faire non plus, non mais faut voir sa facture. Les autres sont d’accord. Et puis les étrangers. Les étrangers qui demandent à Hollande de venir en France, pour y faire des enfants ! Non mais la France elle est au plus bas ! Elle n’a jamais été comme ça : pleine d’étrangers qui viennent pour y faire des mômes ! 

Au lieu d’être nos esclaves, ces salauds d’étrangers viennent faire des mômes et puis vous savez quoi.

De toutes façons, y’a pas de travail. Y’en a pas ! Comment qui vont comprendre ? Vous savez ce que je vais faire ? Hein ? Et ben j’en ai pas honte. Même si c’est dit en baissant la voix des fois que les gens plus civilisés écoutent. J’en ai pas honte, ah non alors, on nous en a assez fait ! Tiens, Gisèle elle a acheté la nouvelle crème Nivéa™, elle trouve ça très bien ! Ah oui ? Ah ben j’aurais pas cru qu’elle changerait de marque comme ça ! Ah ben moi non plus. Et tiens, Valls, qu’est-ce que tu veux qu’il fasse ? Mais on peut rien rien rien contre ces gens-là ! Et l’autre soir, là, tranquille, mon fils et mon mari qui rangent rien sous le auvent, il se met à pleuvoir, et qui c’est qui range les assiettes ? Ben c’est bobonne, non mais je vais te dire ce que je vais faire, tu vas voir ! Ça te va bien ta nouvelle frange Claudine. »

Quarante ans de frustrations. Une vie dans un pavillon, des jeux vidéo pour les enfants, des traites pour la bagnole, ça piaille. Ça pourrait être pire mais ça ne l’est pas. Elle voit l’invasion à la télévision. Tout le monde en parle dans ce milieu-là. C’est l’invasion. Elles essayent d’être sexy mais sont vulgaires. Elles voudraient être jeunes mais notre wagon a du retard. Elles voulaient la réussite sociale mais n’ont jamais considéré l’école à moins que ce ne soit le contraire. Je les connais : on dirait ma mère. Ça ne change pas les bonnes femmes. Ça caquète, ça dit aux mecs d’aller leur péter la gueule aux autres. Ça sent. Ça sent les choses.

Là je rentre sens inverse des aiguilles d’une montre journée de labeur à faire cours en leur disant de fermer leurs ordinateurs. Deux musulmans en robes longues discutent écouteur dans l’oreille. Abdel et Mahmoud : leurs Iphones™ ont une connexion wi-fi ouverte à leurs noms. Ce n’est pas une raison pour devenir amis. Comme tous les bigots, ils parlent des certitudes de la bigoterie, de ce qu’a fait le prophète, de l’Islam. L’un écoute et l’autre le contredit, mais ils sont si heureux de ne parler que d’une chose. J’y reconnais tous les bigots du monde, dans la bulle magique des croyances. Les voilà enfin utiles, enfin vrais, comme nouvellement-nés, à la Georges Bush, born-again. Je sais bien que la croyance fait sens bien plus que tous les doutes. Le doute, c’est la mort, c’est fini, c’est l’impuissance. Le ramassis d’âneries qu’ils débitent me persuade qu’ils ont sans doute fait un bac STT à cause de Chevènement, et que sans lui, nous aurions deux maçons paisibles et heureux au travail, au lieu de deux frustrés réfugiés politiques dans les nouvelles identités minuscules. On peut leur vendre n’importe quoi, l’habit traditionnel et les ordinateurs portables, les contradictions sont aussi illusoires que les espoirs que je nourris en m’imaginant moi-même prophète - disons magicien - en tout cas suffisamment habile pour les convaincre que, par exemple, dieu, c’est moi. Il faudrait que je puisse faire décoller le train, que je repousse l’orage au loin d’un signe de la main, il faudrait que je sois un auteur de science-fiction, ou une actrice célèbre. Mais même là, Don Quichotte n’irait pas bien loin. Rien de plus profondément humain que les certitudes. Celles des mémères du matin ou celles des convertis du soir échappent les unes et les autres à la discussion. Je rêve d’une statue élevée au doute, voire même de cours de doute, dès la Classe Préparatoire, je veux dire le CP en primaire. Je deviendrai le dieu du doute et ça serait le merdier à nouveau. Dans la conversation, ils placent trois mots d’arabe, pas grand-chose. C’est pour faire bien. Ils parlent trop vite pour être clairs. Ils débitent. Ils parlent de la Palestine et des vraies stratégies. Ils sautent du coq à l’âne.

Ils piaillent.

Ils roucoulent.

Ils se persuadent.

Les mondes des autres gens sont tout petits.

Au loin, un arc-en-ciel sous l’orage. Je pense à Denis Hopper. Il en ferait une bonne photo avec une Chevrolet déglinguée au premier rang. Mais il est mort y’a pas longtemps.