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Du PMU à ma phobie administrative

mercredi 10 septembre 2014, par Grosse Fatigue

Thomas Thévenoud : quel est ton secret ? Moi aussi, j’aimerais éviter l’impôt, et les remboursements des traites de la baraque, à défaut d’être locataire à Paris. Moi aussi, j’ai une phobie administrative. J’ai rampé devant l’employée de la mairie qui m’a engueulé parce que j’avais ré-inscrit les enfants à l’école, ce qui les a fait changer de secteur. Je l’ai priée, suppliée, je me suis excusé à plat-ventre, afin que les gamins puissent rester en primaire au même endroit, pardon madame, pardon de vous faire perdre votre temps. Je n’ai rien dit à l’employé de la SNCF qui m’a fait comprendre que j’avais fait parvenir le dossier "Famille nombreuse" trop tôt, c’est-à-dire avant les trois derniers mois de validité de nos cartes. A quinze jours près, je n’aurais rien eu à refaire, mais l’employé m’a renvoyé les photos, et surtout pas le dossier, qu’il va falloir remplir à nouveau, tout comme le chèque, des fois que j’oublie, ça fera des économies, même si l’on préfère le co-voiturage. Oh oui, j’ai une phobie administrative, quand le type du FISC m’a dit que je m’étais trompé de case, comme tout le monde, mais qu’il fallait payer quand même.... Quelle chance de payer ses impôts : quand même.

Ah, mon pauvre Thomas Thévenoud, sublime crétin du suffrage universel, aujourd’hui célèbre pour ta nullité, comment es-tu élu, comment as-tu fait ? Depuis Cahuzac, on croyait que les caniveaux étaient propres !

Je pense à tout cela un mercredi midi, au moment où je savoure ce privilège suprême de l’homme français libre : j’achète le Canard Enchaîné au bar d’à-côté, même sous la gauche, j’aime les entendre taper sur nos braves élus, leurs magouilles, leurs mensonges. Moi aussi je vais finir par y croire : tous pourris.

Les prolos attablés remplissent en silence des grilles de jeux à gratter. On entend les mouches voler et les slurps de buveurs de bière qui, bien loin des bourgeois-bohêmes, ne semblent pas se contenter de la première gorgée, mais repoussent à jamais le plaisir à la dernière. Du temps de Cahuzac, on parlait encore. Maintenant, on rumine le hasard en espérant. Pourtant, pas sûr que l’argent miraculeux qui ne viendra jamais change vraiment les sans-dents alentour. Il semble déjà trop tard pour envisager la vie sous un autre jour que celui, artificiel et jaunâtre, du bar-tabac d’à-côté, là où l’on ressasse les souvenirs du temps que... sans rêver de rien. Le patron me refile son marc de café, en échange de rien, et j’en fais du compost, petite économie de l’avenir, sans ambition. Un type lit le journal local et parle fort : « Ah, les gars ! Ils ont sorti un téléphone à 1000 Euros ! Qui s’achète ça ? A quoi ça sert ? »

Dehors, les artisans se garent la clope au bec en laissant les moteurs allumés. Se faire la belle est chose aisée, les clefs sont sur le contact, il suffit de passer la première. Bien entendu, il n’est pas simple de fuir pour l’Espagne dans une fourgonnette diesel de quinze ans d’âge, mais ça se faisait avant, du temps où l’on rêvait de partir parce qu’on était jeune. C’est mal de voler. Les artisans ne vont pas au fond de la salle, peut-être parce qu’ils sont salissants, peut-être parce qu’ils n’ont pas besoin de main d’œuvre, mais juste de leur paquet de clopes pour accélérer vers la fin, quand le circuit devient fatigant.

Je rentre à la maison sans oublier d’alerter une mémère mal garée, la soixantaine heureuse voire plus, qui laisse vingt centimètres de passage sur le trottoir. Je lui parle des poussettes qui passent mais elle ne comprend pas pourquoi elle est mal garée, bien que la signalisation soit explicite. Alors j’ajoute qu’un type passe systématiquement avec un gros tournevis tout pointu et bousille les voitures mal garées. Elle répond que la sienne est déjà rayée. Je lui répond qu’il lui crèvera les pneus, ça s’est déjà vu… Elle me remercie chaleureusement et gare sa 308.

Le type, c’est moi, bien entendu.