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De l’obésité en toutes choses
mercredi 20 août 2014, par
Le photographe nous a pris la main dans le sac à un kilomètre du sommet du Galibier. Sur l’écran je me trouve quand même un peu gros. C’est l’obsession du moment : on est foutu, on mange trop. On en met partout, on gâche, on baffre, on en redemande. Mon gamin me dit papa t’es obsédé par les obèses. Oui c’est vrai. J’en vois partout. Le gamin noir assassiné par un flic blanc dans le Midwest, j’ai d’abord vu son gabarit avant d’apercevoir sa mort. A Valloire, c’est le salon du 4X4. Le village est plein de beaufs ventrus qui pètent en rêvant de voyages dans les dunes du Maroc, façon Balavoine sans hélicoptère. Je les sens en fin de vie, la queue de la comète, le 4X4 est maintenant urbain, et ceux qui s’imaginent en faire dans la nature ont un train de retard, surtout qu’ils n’ont pas l’air russe. L’effet Veblen doit être ailleurs, que faut-il imiter aujourd’hui dans la classe de loisirs ? Qui faut-il donc suivre ?
Sur l’écran Samsung gigantesque, des images des réfugiés irakiens. Je vois des bouteilles en plastique joncher le sol. Là-bas aussi, on en met partout. Mais les gens ont faim. Je deviens cynique. Au 20H, le présentateur nous annonce tout sourire que nous avons consommé une France et demi, là, à la mi-août. Il nous faudrait bientôt deux Terres pour subvenir à nos besoins. La télévision me propose des lifto-tenseurs, calibrant mon profil par GPS comme la carte du parcours de demain, que nous venons de terminer dans la joie et la solitude des cimes.
Je n’ai besoin de rien. C’est le leitmotiv de la rentrée. Il faut que je m’enfonce bien cela dans la tête : n’avoir besoin de rien, la solution pour relancer la décroissance. Je n’ai besoin de rien, si ce n’est de remplacer les pièces usagées, les pièces d’usure. A part l’usure du temps, le reste fera l’affaire. Le luxe, c’est de n’avoir besoin de rien, y compris si l’on n’a déjà pas grand-chose. Je vais en parler aux enfants, qui reprennent des bonbons.
J’ai zappé sur Public Sénat. C’est horrible d’avoir la télévision. Je regarde les débiles massifiés soi-disant étudiants faire le spring-break à Cancun. L’éducation mondiale est un sacré échec. Quand je serais dictateur globalisé, ce qui ne saurait tarder, je forcerai tous ces zombis à monter le Galibier en vélo. Ou bien à faire le tracé de la 7 en VTT, celle que l’on vient de finir, croisant une cohorte de 4X4 pleins de commerçants avec leurs femmes péroxydées dont l’une a salué notre courage. Elle ne perd rien pour attendre. Quand je serais dictateur écologiste, elle prendra ma place et devra refaire la côte trois fois par jour. Tout ira bien.
Et qu’elle ne compte pas sur ces saloperies de vélos électriques : je les interdirais. Quand j’aurais pris le pouvoir, les autoroutes de France seront réservées aux vélos. Quand je serais dictateur, nous n’aurons plus besoin de rien, nous aurons faim, enfin.
Savourer le fait d’avoir faim, juste un peu faim. Le luxe.