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Intermittents : la solution à tout !

lundi 21 juillet 2014, par Grosse Fatigue

Cette nuit j’ai rêvé que l’intermittence à la française envahissait le monde, comme une grève SNCF quand on a l’espoir de rejoindre la femme de sa vie en seconde classe. C’était un rêve formidable, très voltairien, pas d’arrière-pensée, rien. C’était aussi très simple. Tout se mélangeait dans ma tête, ce qui m’arrive de plus en plus souvent. Il vaut mieux vieillir sénile que de connaître l’heure unique de la marée de sa propre impuissance.

J’ai rêvé que les Palestiniens devenaient intermittents et se mettaient en grève du lancer de quoi que ce soit sur les plages de Tel-Aviv. Pour leur montrer qu’ils n’étaient pas dupes, les soldats israëliens en faisaient autant. Les réseaux sociaux à la con du monde entier relayaient la nouvelle : l’intermittence fait des ravages dans la Bande de Gaza. C’est la grève ! Les maçons ne finissent plus les murs. On se plaint. Mais de quoi ? De la brièveté de la vie. C’est un nouveau miracle. On cherche son prophète, le fameux type qui viendra pour dire à tout le monde qu’il ne fallait surtout pas l’attendre parce qu’il n’existe que dans nos têtes, comme l’espoir pour Schumacher™. Dans les banlieues françaises, on comprend vite : les déguisements sont rangés, voir brûlés en place publique et les gamins se jurent de travailler à l’école dès septembre, afin d’écrire "voire" avec un "e" à la fin. Les paraboles sont démontées, on les transforme en fours solaires, voire en Frisbee™ parce que c’est encore l’été. L’Ukraine et ses Ukrainiens font de même. Poutine™, qui n’y comprend rien, fait la grève du pouvoir et va lutter contre les algues vertes dans la piscine de sa Datcha à mains nues, ce qu’il sait faire de mieux. La seule chose qu’il sait faire d’ailleurs. Les cardinaux et les rabbins, les imams et les bonzes se regardent dans la glace, comme Sarkozy en se rasant : "Qu’a-t-on raconté aux gens ?". Et les voilà intermittents de la religion. Plus une seule messe, pas de Ramadan™ ou de Carême™, c’est la fête, Michel Fugain devient président du monde.

Comme dans mes rêves d’enfants, je cours, je prends mon élan, je tiens mes chevilles et je survole le trottoir près de chez moi. Ça y est, je vole.

Le modèle français s’impose comme une traînée de poudre. Les Chinois - si prompts à fabriquer des Iphones™ encore plus performants - se mettent en grève. Ils réclament un statut d’Intermittents™ à la française, car ils se sentent plus jongleurs qu’assembleur de coques. Les actionnaires américains mangent leurs chapeaux et rongent leurs ongles. Même les semenciers s’y mettent. On prône les mauvaises herbes, le hasard et le désordre. On soutient la lecture. Le Festival d’Avignon est définitivement éteint : ses promesses de théâtre populaire se sont éteintes il y a cinquante ans, mais l’on vient juste de s’en rendre compte. Les bourgeois de gauche qui répandaient le mensonge soutiennent des fonds de pension qui investissent la musique dès la maternelle, mon vieux fantasme.

- "Papa, on va être en retard au centre aéré ! Réveille-toi ! Il est huit heures !
- Y’a centre aéré ?
- Mais papa, on est lundi ?
- Bah, on ira demain ?
- Mais papa, on doit y aller, maman a payé pour !
- Mais aujourd’hui, y’a intermittence du spectacle ! On n’est pas obligé ! On ira demain !
- Papa, me dit la plus grande, ta procrastination s’accélère, aussi sûr que la décrépitude de ton crâne stérile - je suis chauve - tu délires, et tu nous empêches d’avoir un avenir serein, en continuant comme ça, on va finir sur les bancs de la fac avec un bac STT en histoire de l’art, et fissa caissière, si l’on te suit. Papa, le monde tourne, il faut faire vite.
- Ma fille, ne brûle donc pas ton enfance ainsi. Je vous ai tous voulus artistes, musiciens et poètes, c’est quand même fou de te voir, à douze ans, contrôleuse de gestion ! Tu sais, j’ai un copain expert-comptable qui rêve d’une autre vie !
- Papa, tu continues comme ça, on finira intermittents du spectacle à une époque où il n’y aura plus de spectacle !"

Je me suis levé sans entrain. J’ai allumé la radio qui mélangeait les Boeing™ écrasés, le nucléaire japonais, Israël et les banlieues françaises. Le Festival d’Avignon était annulé et je continuais à détester la danse moderne et Jeff Koons™. On parlait d’interdictions qui menaient à la violence et d’autorisations qui nous ouvraient les bras vers la paix.

Je suis resté couché, en rêvant de films français en cassettes VHS, avec Pierre Richard, par exemple.