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Français de souche

mercredi 23 avril 2014, par Grosse Fatigue

A la sortie du PMU un prolo dans une bagnole française hors d’âge et hors d’usage ne lève pas le regard vers l’affiche des valeurs paraît-il actuelles qui prônent le Français de souche comme on prône la Limousine - je veux dire la vache - ou la Normande (je veux dire la vache aussi). Le prolo jette l’emballage plastique de son paquet de clopes à même le sol afin que je puisse le ramasser, par vent d’est ou du nord, dans mon jardin. Le prolo français se moque de tout : il n’a pas de valeurs, en tous cas de valeurs actuellement, car il est mal élevé, comme la plupart des Français, qu’ils soient de souche ou de je ne sais quoi.
Même de vieux Français de souche doublaient dans la queue pour aller écouter un récital de piano l’autre soir. Les Français sont insupportables.

Je ne veux même pas en parler. Je me moque bien des Français de souche, des Français immigrés, des bourgeois, des arrivistes, des parvenus, de la classe moyenne, des artisans, des restaurateurs, des dames de la cantine comme disent les petits, même si celles-là semblent constituer une caste à part entière, en grève sans prévenir tous les quinze jours parce qu’on a le droit. Je maudis le Français de droite et je déteste le Français de gauche, j’exècre l’immigré d’extrême-droite et sa femme voilée et son cousin catholique intègre, sa femme bonne travailleuse et sans parlotte. Je déteste presque le monde entier et cela s’aggrave.

Je suis malade Molière, je suis malade. Je déteste nos nouvelles connaissances et les amis de ma femme, mes collègues incultes, ces femmes qui aiment autant Françoise Dolto que leur horoscope dans Biba™. Non franchement, tu m’as déçu Obiwan Kénobi. Je suis sûr que ça n’est pas ton nom d’ailleurs.

J’ai toujours douze ans.

L’autre jour je suis retourné voir le jardin de mon enfance dans une autre ville refaite à neuf par des marketeurs. Les rues sont maintenant pavées, les magasins sont propres et la Loire est toujours là. Les ultimes traces de la guerre mondiale, de juin 40 et de la débâcle ne sont visibles que par les avertis. Les gens contemporains ont l’air heureux d’y vivre comme on vivrait sur une promenade à Barcelone. Les tramways sont pleins et leurs occupants regardent par la fenêtre comme on regarde, enfant, dans une vitrine de jouets. Tout est fait pour avoir envie. C’est un décor. J’ai regardé les prix dans les agences immobilières. Et puis je suis allé voir le bout de mon ancien jardin car c’est maintenant possible. La prophétie de papa s’est réalisée. Un jour, il y aura un lotissement au bout du jardin. J’avais juste peur que le lotissement ne soit dans le jardin lui-même. Je me suis garé sur le parking qui donne derrière mon ancienne cabane. Les nouveaux occupants en ont profité pour y mettre une entrée secondaire et un chemin tracé par une voiture montre bien qu’ils s’y garent. Ils se garent au milieu du potager de mon père, car il n’y a plus ni père ni potager. L’arbre de Judée a grandi, c’est maintenant un géant fragile. Le prunier que j’avais planté est adulte, le tas de fumier des lapins a disparu depuis longtemps, comme les lapins qui venaient dans les champs autrefois. Mais j’étais heureux. J’ai pris quelques photos pour conjurer le sort et coupé des lilas blancs pour les replanter dans mon jardin d’aujourd’hui. C’est que je suis mélancolique : c’est comme ça. Du buis qui faisait les allées ne reste aujourd’hui que de gros buissons. Et à la place du grand cerisier déjà trop vieux à l’époque, il y a une balançoire et un autre cerisier qui semble très beau a poussé à côté. Un tas de terre est caché dans le fond du jardin, il reste des choses à envisager dans mon ancien territoire. La grande maison des voisins est entourée d’un grand jardin grillagé, un jardin de Bohême où poussent pêle-mêle n’importe quoi qui fait chaud au cœur. Il faudrait dire aux gens qui vivent là ce que nous y avons vécu, au mitan des années soixante-dix comme tout allait presque bien puisque j’étais un enfant dans les arbres, les herbes et les bestioles. A l’époque : il y avait des sauterelles, des bourdons, des abeilles....

Voilà donc pour les racines. Je suis parti heureux de voir la balançoire et même les changements. L’âme y a évolué sans s’affadir, il faut vivre ici et maintenant. Les fantômes de mes chats, des me cochons d’Inde et du chien gentil qui puait la mort m’ont salué, et le reste de la famille aussi.

Les souches ne sont ni des troncs ni des racines. Les souches, c’est juste du bois mort coupé.