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Médecine du travail : le stress

jeudi 3 avril 2014, par Grosse Fatigue

La dame me reçoit. Elle a tant de questions à me poser. Oui, ma vue baisse. Je lui en parle. Elle s’en fout. Je lui dis que c’est un marqueur. Elle me demande si je suis souvent devant un écran. Je réponds non. Mais voir sa vue baisser (SIC), c’est gênant. Surtout au lit.

- "Qu’est-ce que vous faites au lit ?

- Je lis.

- Ah. Sur écran ?

- Mais non !

- Vous êtes sûr ?

Quelle emmerdeuse. Bien sûr que je suis sûr de ne pas lire sur écran le soir. Je lis la biographie d’Ernst Jünger. Et d’autres choses. Mais surtout dans les toilettes.

- Vous allez beaucoup à la selle ?

- Je fais huit-mille kilomètre par an.

- Je voulais dire : les toilettes.

- Ah, les toilettes : oui, j’y vais souvent.

- Constipation ?

- Non : lecture.

- Vous lisez aussi aux toilettes ?

- Oui : j’échappe à ma femme et à mes enfants. Je lis des magazines sur le vélo ou la photo.

- Vous êtes stressé ?

- Aux toilettes ?

- Non, au travail.

- Non.

- Vous êtes sûr que rien ne vous stresse ?

- La connerie. Mais c’est universel.

- Pardon ?

- Je vous en prie.

- Vos collègues vous stressent ?

- La connerie en général. Mes collègues sont effectivement....

- Stressants ?

- Non : incultes.

- Ce sont des professeurs pourtant !

- Vous êtes dépassée. Ce sont des cons ignares. Aucune curiosité.

- Vous n’avez pas l’air de les aimer !

- Je ne les ai pas choisis.

- On ne choisit pas ses collègues.

- A qui le dîtes-vous ?

- Mais à vous !

- J’avais compris. Vous allez me prendre la tension ?

- Oui, mais je veux être sûr que tout va bien au travail : vous avez l’air stressé.

- C’est juste qu’il pleut. Je suis mélancolique.

- Allons donc, c’est bientôt le printemps !

- Justement.

- Le printemps vous stresse ?

- Non. Novembre me rend mélancolique. Je me souviens de ma mère rentrant le soir, et de mon père à la mine.

- Votre père était mineur ?

- Oui, en Sologne. Mineur d’argile, un métier dur.

- J’imagine.

- Vous avez d’autres questions ? Vous allez me palper mes ganglions ?

- Non, pas avant deux ans.

- Ah, ça me rassure.

- Vous savez que la plupart de vos collèges sont très, très stressés ?

- Je m’en fous complètement. Vous allez prendre ma tension ?

- Vous savez, c’est sérieux, il y a un réel problème sur votre lieu de travail.

- C’est juste alimentaire. Je voulais être un autre. Arrêtez de noter ce que je vous dis.

- Mais c’est important pour votre dossier : il est informatisé.

- Je m’informatise moi-même sur internet. Pas besoin de votre intermédiaire.

- Vous être professeur d’informatique ? Ça n’est pas noté.

- Ça n’est qu’un dossier papier. Je peux m’en aller ?

- Ça n’a pas l’air d’aller.

- Laissez-moi tranquille ! Je veux juste m’en aller !

- Vos enfants vont bien ?

- Je n’en sais rien, demandez-leur s’ils ont un job un jour !

- Votre épouse est en bonne santé ?

- Elle m’a quitté ce matin.

- Vous allez l’air très stressé monsieur Fatigue. C’est votre vrai nom ?

- Ecoutez madame Facebook™, laissez-moi tranquille. Ma vie réelle ne concerne personne ! Je veux rentrer ! Rendez-moi mon vélo !

Elle se lève. Elle fait partie de ces gens jeunes chanceux : elle a sans doute toujours fait beaucoup plus que son âge, ce qui fait qu’elle ne vieillira jamais. Les gens la reconnaîtront quand elle aura quatre-vingts ans.

- Vous prenez des médicaments ?

- En suppositoire uniquement.

- Quel type ?

- Cocaïne, JJ Cale.

- Ah, je ne connais pas.

- Ça ne m’étonne pas. Laissez-moi tranquille madame, s’il vous plaît."

Et puis elle me donna le papier "apte". Apte.

Apte.

Et puis j’ai rêvé de mon service militaire, quand le médecin m’a dit que je rentrais chez moi, que j’étais réformé, comme "re-formé". Je ne savais pas à l’époque que ça n’arrivait qu’une fois, et que c’était regrettable.