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Statistiques : l’avenir est aux méduses...

mardi 8 avril 2014, par Grosse Fatigue

J’aime les libéraux. Ce sont des statisticiens. Ils aiment le bonheur des chiffres, car les chiffres leur procurent du bonheur. Ça n’est pas mon cas depuis qu’en sixième, vers mes onze ans, devant mes difficultés en maths, mon père menuisier rétrogradé ouvrier à la chaîne m’annonça sans ambage qu’il ne pouvait pas m’aider : les maths modernes, je n’y comprends rien.
Depuis cette lointaine époque, j’ai laissé les mathématiques s’éloigner de moi. Ce fût un réel problème. Les copains sont devenus ingénieurs. Mes autres complexes étaient moins handicapant. Je ne peux pas danser. Du moins pas en public. Et j’ai peur de l’eau. Je ne pourrais pas sauver un enfant de la noyade dans une piscine privée. C’est inutile dans les piscines publiques car il y a des anges gardiens.

J’aime les libéraux car ils savent compter. C’est d’ailleurs tout ce qu’ils savent faire. Il me semble qu’en sixième, ils ont dû avoir de sacrées difficultés partout sauf en maths. Ils ont donc abandonné le monde tout entier, les sciences naturelles et les humanités, pour se concentrer sur cette causalité statistique qui les hante et les satisfait. L’un d’entre-eux expliquait encore hier matin qu’un point de PIB équivalait à plusieurs milliers ou millions d’emplois. C’est d’ailleurs peut-être le contraire. A aucun moment un statisticien n’ira mettre les pieds dans la cambrousse pour voir des gens, ces entités concrètes et entêtantes, comme Matthieu, l’entraîneur du basket dont la boîte ferme. Un seul chiffre : 54 ans. On m’a compris...

L’abandon de la biologie est l’un des faits les plus regrettables. Il suffit d’aller chercher des algues avec le petit pour le bassin. Les pieds dans la vase, j’essayais en vain de récupérer les racines. Il y avait quelques escargots d’eau dans la rivière, mais pas grand-chose d’autre, à part les nitrates du gros con en tracteur qui, là-haut et en fin de matinée, m’a copieusement arrosé et mon vélo avec. Il faut dire que les agriculteurs sont avant tout des statisticiens : c’est une science cannibale. Ajoutez-lui de l’informatique embarquée et vous aurez le pire des mondes qu’il reste encore à décrire dans un roman pas futuriste. Orwell, Huxley, Bradbury, Ira Levin : morts.

En voyant les escargots d’eau, le petit les a tout de suite baptisés : Turbo. Ils s’appelleront tous ainsi. Il est vrai que les animaux qui nous survivront sont presque uniquement ceux des dessins animés. Walt Disney nous fait un mal fou. Il reste les zoos. J’espère juste que l’on aura la présence d’esprit d’ouvrir les portes si l’on devait subitement partir d’un coup d’Ebola.

A vrai dire, je doute d’une fin subite. Qu’on laisse l’adjectif aux bières belges.

Nous partirons entourés de méduses, la dernière bestiole à la mode. Elle vit de nous, envahit les océans, électrocute les obèses russes en Mer Noire et les obèses américains au large de Miami. Elle finira par boucher définitivement les conduits d’eau des centrales nucléaires ou des porte-avions. Je l’ai lu : tout y est vrai. C’est même statistique. Les méduses colonisent tout car nous avons fait place nette en bouffant japonais. Il fallait mettre le thon. Ce fût fait. J’ai lu aussi qu’il n’y a plus de sable pour le béton. Et je ne m’en lamente ni pour le béton ni pour les plages où rôtissent des cons. Je m’en lamente car les disparitions sont tristes. Et comment fera-t-on les sabliers pour compter le temps qu’il nous reste ?

Il n’y aura plus d’eau potable non plus. C’est statistique. Plus d’abeilles. Même si les grosses firmes américaines rêvent encore d’inventer une abeille transgénique éternelle. Il vaudrait mieux demander aux méduses de polliniser les pissenlits : rude tâche.

Un jour il n’y aura plus rien. Seuls les riches auront tout. Et les pauvres seront si majoritaires que les riches seront emportés, par hélicoptère, vers des villes privées pleines d’ennui, à la manière d’un Brésil sans bossa-nova. Il n’y aura plus rien que des chiffres, une abstraction fondamentale collée dans nos bras, et nous écouterons nos cholestérols et nos pressions sanguines, sur l’écran de nos lunettes noires. Il n’y aura plus rien à voir de toutes façons, alors autant se regarder soi-même.

Il y aura toujours un type pour croire qu’une quelconque innovation nous sortira de là, un Michel-Edouard Leclerc™ pour recycler les algues vertes en photophores. Et les méduses en engrais.

Mais !

J’ai de sérieux doutes.