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Le petit loden vert™

jeudi 6 février 2014, par Grosse Fatigue

Dimanche, j’étais encore plongé dans le songe lamentable de mes abandons successifs. Quelle promesse faut-il oublier pour laisser du champ aux autres, avant de les laisser tomber et de finir en maison de retraite ? Je pensais à tout cela pendant que les gamins couraient sur la place piétonne, ce désert urbain pour vieux - justement - où plus rien ne vit vraiment. Le maire se défend en prétendant que c’est une tendance forte dans toutes les villes de France. J’imagine qu’un peu de volonté pourrait inverser la tendance de toutes les villes de France. On pourrait aussi imaginer des enfants obligés de jouer de la guitare dès la maternelle, ne vous en déplaise David Guetta.

Je rêvassais sur le réchauffement climatique et ce genre de choses, ma volonté d’impuissance et ses constatations, nos vies moyennes mais presque heureuses en comparaison, et puis sont passés les catholiques. Ils n’étaient pas là en vrai. Enfin, je ne sais plus : il y a des écrans partout dorénavant. Je confonds facilement ce que j’entends avec ce que l’on ne nous montre pas. Je ne sais plus très bien. Il est possible même que j’invente. Je dors beaucoup en rêvant, et certaines réalités se matérialisent bien plus que les actualités régionales à dix-neuf heures les soirs d’hiver.

Toujours est-il que les catholiques sont passés avec leurs enfants, brandissant des pancartes pour le droit à la trisomie et l’interdiction de l’avortement. Ils avaient l’air assez monstrueux dans leur manière de défendre la beauté de la vie. On a la vie qu’on peut. Mais j’ai vraiment trouvé qu’ils exagéraient. Je les préfèrerais corporatistes si cela était possible. Mais les voilà à croire (SIC) qu’ils représentent plus qu’eux-mêmes, c’est-à-dire pas grand-chose, même si, je l’avoue, cela ne me rassure pas pour autant. Que les mauvaises valeurs soient d’origine religieuse n’empêche pas la disparition des bonnes... Au coin d’une rue, une famille carrée en bleu faisait office de thermomètre. La mère, solide comme une paysanne dans un film de propagande soviétique, portait l’attirail de la femme de bourgeois, celle qui récite les évangiles au foyer pour la marmaille, si jamais l’un de ceux-là voulait devenir médecin du monde. Elle avait les cheveux courts bien qu’ayant sans doute moins de trente-cinq ans puisqu’elle en faisait environ dix de plus. On voyait distinctement ses genoux, ainsi que l’on pouvait deviner la forme de ses mollets, comme faits d’un seul et unique muscle tordu et presque carré, vestige des balades en forêt et d’un scoutisme sans fantaisie. Derrière, les plus grands criaient comme on crie quand on aime ses parents : la propreté.

"La propreté !"

Je pensais : La propreté, c’est le vol. Celui des oiseaux.

Et puis le plus petit, dans son loden™ vert, avait l’air malheureux. J’en fis un gros plan rapide à pleine ouverture, sans saccade. J’y reconnu Jean-François, un copain d’enfance mort du SIDA en 1983 à dix-sept ans. Oui c’était cela, comme un songe. Son père haut-fonctionnaire, ses sept frères et sœurs et lui, l’avant-dernier, le pas normal qui se prenait des coups. A l’époque, c’était encore courant. Aujourd’hui, je préfère ne pas savoir. Sur l’écran géant de mes divagations, il y avait Jean-François, les punks en troisième qui lui tapaient dessus et notre apprentissage de la masturbation - en tout bien tout honneur - en cours d’éducation sexuelle quand il nous expliquait avec un vocabulaire fleuri comment faire. Quand je dis fleuri, c’est volontaire : ce furent les seuls moments où son visage avait l’air de s’éclairer, quand il nous parlait de ces extases avec des semblables plus âgés, qui m’apparaissaient comme de purs délires, à moi, mais pas à son père, qui s’en vengeait par bleus interposés. Je sais, depuis, que tout cela existe : j’ai lu Frédéric Mitterrand.

Oui, je sais....

Le petit avait un loden vert mais tous les autres étaient en bleu.

C’est presque un appel pour enfant perdu.

Si vous le croisez, il n’y a pas grand-chose à faire. Peut-être juste un clin d’œil, un geste amical.