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Terminus barbarie

lundi 10 février 2014, par Grosse Fatigue

En lisant le grand Ernst Jünger, je suis saisi d’une impuissance totale, pathétique, comme avoir les pieds dans le ciment et finir dans une pile de pont. Je lis ses journaux de guerre, la seconde, la dernière, où il croise Picasso et cet abruti de Céline.

Je lis plus tard sur la table de la cuisine un article sur les favelas du Brésil (SIC), non, je veux dire "BRIC", acronyme signifiant pays d’avenir dans la novlangue du libéralisme tribal. Dans les favelas, on se tue entre enfants avec des armes d’adultes, des armes pour faire la guerre, celle dont Jünger parle, lui qui a fait les deux. Il détestait la populace mais pas la guerre où, naïvement j’imagine, il croyait voir une certaine chevalerie. Jünger, c’est de l’ethnologie participative dans la guerre, un respect pour l’observé, une distance analytique mais quand même des relents étranges. Pour être vraiment bon, il eût fallu qu’il ait oublié de croire.

Au Brésil, il n’y a pas de chevalerie, pas de réseau d’eau potable, juste la misère et une classe moyenne paraît-il de plus en plus grosse, ce dont le journaliste semble se réjouir, comme certains se réjouissent de l’arrivée de la Coupe du Monde de football... Et pourtant, la classe moyenne est constituée d’insectes standardisés chargés de surveiller les autres, les démunis, les cafards, les gros rats dealers de drogue et convoyeurs de plaisirs pour les fils des patrons qui se dandinent en boîte de nuit, tâchant d’exciter - c’est la nature - des centaines de bimbos pré-gonflées dans les usines à rêve de la Californie plastique. Beurk ce monde qui vient. Combien de touristes eux aussi facebookés vont-ils finir dans les griffes des tortionnaires du lumpen-prolétariat, monde tropical et ôh combien exotique ? Que de bonnes histoires croustillantes d’Allemandes en tongs, disparues puis retrouvées, découpées en rondelles sur la plage de Copacabana. Grinco, tu peux dire adieu à ton portefeuille. D’obésités en obscénités, le monde s’agite sur son sempiternelle droit à jouir de tout, de tous et des autres. Pas plus tard qu’avant-hier, dans la belle médiathèque de ma petite ville, des vieux truandaient dans la queue du spectacle, sous prétexte qu’elle faisait un coude et qu’ils faisaient semblant de ne pas l’avoir vu. Ce n’est rien, pas d’arme de guerre, juste du chacun-pour-soi, la routine en somme.

Le petit m’a demandé si la terre était invincible, si elle pouvait être détruite, si son champ magnétique servait à autre chose qu’à la protéger des radiations solaires. Il est trop fort le petit. Une fois qu’il fut attaché dans la voiture, j’ai regardé la souche d’un vieil arbre dont les surgeons robustes semblaient me dire de ne m’inquiéter de rien. A côté de lui, dans le même silence, un sureau courbait en attendant qu’on vienne le couper, pour repousser de l’autre côté du mur, identique et patient. Même là, dans le bitume tracé au cordeau de l’hygiène des architectes, urbanistes, et planificateurs, la sauvagerie saura faire sans nous. (Je précise que je hais les urbanistes). Des graines germent sous les trottoirs, et attendront les friches pour jaillir victorieuses, après notre parenthèse incroyable. Quelques millions d’années suffiront pour inonder définitivement la Bretagne et ses pseudo-patrons régionalistes, ou voir ressurgir le feu de l’ancien volcan bien après la mort de Giscard d’Estaing, en Auvergne. Il y aura pour de vrai une sorte de lavement. Et il y en aura pour tout le monde. De vrais cafards et de gros rats profiteront du spectacle en rêvant peut-être eux-aussi de s’enrichir et d’en jouir à outrance, reluquant leurs grosses femelles dans des attirails inimaginables pour nous, des choses vulgaires. Leur supériorité s’incarnera dans une différence infime vis-à-vis d’homo-sapiens : ils ne croiront strictement en rien, et ce sera très bien.

Mais :

On n’en est pas là.