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Sale période - Film noir.
vendredi 12 avril 2013, par
C’est parfois comme ça, un coup à croire à la convergence des planètes au-dessus de sa tête pour peu que l’on se penche par inadvertance sur son nombril. Tout est mal parti. Un copain lointain du lycée est mort d’un cancer dont on ne sait rien, il ne s’est pas soigné, une amie m’annonce ça au téléphone un vendredi sous la pluie putain moche c’est moche. Et le printemps pourri. La France entière regarde Cahuzac garder sa fierté et ses prérogatives pendant que des copains perdus de vue s’agglutinent autour d’un incinérateur dans une ville où je n’habite plus.
Le jour d’après l’homme qui devait lire mes vingt pages les a lues et c’est complètement pathétique, comme les pages d’un prof qui voudrait écrire des romans. Robin des bois tire dans le mille. J’abandonne tout et puis je recommencerai un jour quand même comme un con : nous sommes si nombreux.
Cahuzac veut retourner à l’Assemblée Nationale. Rendez-vous compte. Le peuple crie au loup, les fascistes en viendront aux mains, au demain précisons-le, mais je ne sais pas quand, le printemps est pourri, je me regarde dans le miroir de la salle de bain avec attention : j’ai vu des publicités si grotesques pour des logiciels à améliorer les portraits. A gauche, la vérité avec un visage fané, des boutons, et le regard hagard. A droite, après retouche. Je touche mon visage : les nanas vont bientôt balancer leurs courbes et les déhanchés architecturaux de leurs désordres hormonaux, pollution oblige. Je ferais attention à ne pas les regarder trop directement. Un miroir sans tain peut-être, ou des lunettes noires.
Je ne sais pas. Il pleut. Je crois que la femme de ma vie ne m’aime plus : elle s’est habituée. Je n’essaye même plus de ne pas être transparent.
Cahuzac a sans doute un compte ailleurs qu’en Suisse. Ce qui m’étonne, c’est l’absence de honte. La gauche se demande ce qu’il fait là. Les gens croient encore.
Lazuly me dit de faire autre chose : ouvrir un compte sur RUE89. Comme c’est lui l’inventeur des blogs (on appelait ça des "sites perso"), ils devraient m’accueillir à bras ouverts. La stagiaire ne nous connaît même pas ! On a inventé le web, on n’est que suif.
Cahuzac doit quand même avoir assez de fric de côté pour finir sa vie tranquille dans une petite clinique d’implants capillaires aux Iles Caïman. Je vois que Houellebecq n’est pas client : il est en couverture des Inrocks. Je voudrais être Houellebecq. J’aurais eu son physique, j’aurais eu son ambition, même tardive. Encore plus chauve, encore plus fumeur. Je pense que sa carrière est finie avec le Goncourt, son plus mauvais livre. A-t-il déjà serré la main de Cahuzac ?
Que vont devenir les cendres du copain du lycée perdu de vue ?
Raymond Boudon est mort. Sale période. Mon vieux maître se ratatinait de vidéo en vidéo, en pyjama presque, il avait gardé la moitié de sa tête, la meilleure. L’autre était en sale état. Je l’ai vu à Paris par hasard en 2007 peut-être. Impossible de lui parler de la vie tout court, ou même de la mienne - sans importance - il n’y comprenait rien du tout. Mais parler de ses livres, et je le retrouvais frais comme un gardon, l’œil vif et plein d’humour, et modeste et généreux. Il nous avait tout appris en séminaire de DEA, avec l’exigence bonhomme du Professeur discret. Ah oui, il était de droite paraît-il. Il avait plein de doutes aussi. Toujours choisir un directeur de thèse qui doute. Evitez les certitudes : c’est plus scientifique. Boudon c’était bien. Comme il était athée, il a peut-être été incinéré aussi. C’est la mode chez les incroyants qui, d’après mes calculs, devraient être majoritaires dans le monde entier en 2146, un siècle après un film asiatique sur l’amour. Et, d’après mes projections les plus optimistes, 100 ans après ma mort.
Je me fais des films. Des projections vagues. Au début en Super-8 et puis après en Technicolor™, en Noir & Blanc, mais jamais en 3D. La vraie vie suffit pour ça.
La vraie vie est pleine de films très fins, très passagers, sans épaisseur et inflammables, recyclable à l’infini dans les autres vies.
Des films noirs.