Les gens sans imagination : se méfier

Je ne comprends rien à ce que me dit le petit. Du haut de ses quatre ans, il ne voit pas le monde, ne s’en souvient pas encore, il vit dans une bulle, mais une bulle imaginaire, pas la bulle plastique des enfants du Téléthon™ qui, je l’espère et j’en suis sûr, vivent aussi dans la même bulle que lui. Je sais : c’est compliqué. Il y a des phrases qu’il suffit de relire deux fois, comme on travaille une partition, pour que la main se fasse. Je sais aussi qu’il y a un âge où l’on s’arrête de vivre dans la bulle avec Picsou™, Spiderman ou l’horrible poupée Barbante™, même si de nombreuses filles la conservent en rêve comme un modèle de soumission à la connerie généralisée. (J’ai écrit "Je sais", ce qui me rappelle immédiatement que c’était la chanson préférée de mon père, qui aimait tant Jean Gabin, et que ce même Jean Gabin était loin d’être un salaud, et qu’on lui consacre un grand hommage au Musée des Blindés, que je viens de visiter : ah ah ah ! Tout se tient.)

C’est bien sûr un privilège que de pouvoir continuer à rêver. Je me demande même souvent pourquoi les petits bourgeois - du moins ceux de ma génération - écoutaient les platitudes et le synthétiseur du groupe Indochine™, plutôt que de prendre l’argent des parents pour s’inventer un monde et devenir moins cons. Ça n’était plus l’époque, tout est mort à cause des punks™. L’argent pèse sans doute sur l’imagination, sinon, les Noirs de Louisiane n’auraient pas chanté le blues. Mais j’en doute, de tout.

Le petit invente donc la vie d’aujourd’hui, où les chiffres n’existent pas encore. J’ai bien entendu un autiste génial qui donnait un caractère à chaque chiffre. C’était à la radio. Il a aussi appris l’Islandais en une semaine. C’est sans doute une chance. Qu’aurait-il fait si l’on n’avait pas inventé l’avion ?

Je me demande si les autistes ne sont pas une invention contemporaine. Où sont les autistes du passé ? Les autistes géniaux ont-ils existé avant que l’on invente le concept ? Dès que l’on invente le concept au lieu de le découvrir, certains s’y conforment, et voilà. C’est étrange tout cela. Il faudrait donc inventer le concept de l’imaginaire obligatoire, pour sortir du marasme, de la crise. Mais c’est peut-être une idée de droite ?

Ah non ! Je ne parle pas de l’innovation à la Schumpeter. Juste de l’imagination, de ce monde parallèle que nous sommes les seuls à nous fabriquer.

"Les oiseaux n’inventent pas les voitures."

Je ne comprends rien à ce qu’il raconte. Le petit se parle à lui-même, à voix haute, en fredonnant parfois du AC/DC. Et où sont les ailes de la voiture ? Est-ce qu’on peut désintégrer les grandes personnes avec une appli sur l’Iphone™ ? Est-ce....

Mais bien sûr que l’on peut désintégrer les grandes personnes avec une application pour l’Iphone™ : c’est fait pour ça.

Bon, j’exagère. L’Iphone™, ça n’est pas si mal. Le gamin l’utilise pour jouer, ça nous fait gagner du temps.

C’est qu’on manque d’imagination, nous. On regarde des types se faire torturer, trucider, des filles se faire violer, d’autres perdre la tête, et le tout en Version Américaine. Rien que de la réalité ras les pâquerettes OGM.