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L’homme qui ne parlait qu’aux objets

vendredi 23 novembre 2012, par Grosse Fatigue

Je n’y fais plus attention : je passe en mode automatique, à débiter toujours les mêmes conversations précuites, en direct, sans même y penser. C’est que mon interlocuteur est un type qui mériterait d’être connu. Il est cultivé, professeur d’université, pressé, grisonnant. Mais surtout pressé. A chaque fois que l’on se voit, il lui arrive un truc pas possible : quelqu’un l’appelle.

Et le distant a tout de suite la priorité. C’est pour cela que je suis en pilotage automatique avec ce type étrange. Je sais que nous allons pouvoir discuter 37 secondes. Après trente-sept secondes, il va partir. C’est très court. C’est la vie moderne.

Il y a toujours mieux à faire.

Mais hier, il m’a posé une question :

- "Mais personne t’appelle toi, t’en as de la chance ! "

C’était une nouvelle discussion, intéressante et profonde. Effectivement, à part St Maclou™ qui me propose des tarifs intéressants sur d’épaisses moquettes, je ne reçois que très rarement un SMS. Parfois, la mère de mes enfants m’appelle pour m’engueuler, mais c’est rare. Elle a tout le temps qu’il lui faut en direct.

Non, personne ne m’appelle.

- "Mais tu sais, je reçois aussi très peu d’emails...."

Il sait bien que l’email est déjà fossilisé, concurrencé par les conversations creuses et les amis virtuels sur Facebook™.

- "T’as un compte Facebook™ quand même ? "
Oui oui. Pour de faux, sous un pseudo navrant. Et d’ailleurs, j’ai contacté d’anciens copains, des gens que j’aimais bien, via ce compte. Une invitation toute simple, en disant : "C’est moi". Mais Facebook™ n’aime pas trop les types qui ne lui filent pas son carnet d’adresses. Alors mes amis n’ont jamais reçu mon message. Je le sais : j’ai fait un test avec un copain dont j’ai le téléphone. Rien ne s’affichait. Facebook™ m’a donc rendu un peu parano au début : j’ai cru que plus personne ne voulait me voir. Ce qui est sans doute vrai, mais dans des proportions moindres. Au moins un sur dix m’aurait répondu. Et là : rien.

Il raccroche. Il me dit : "T’as raison". Eviter le flux, le flot, c’est prendre le temps de réfléchir. Puis passent quinze secondes à blablablabla et driinnng.

Trente sept secondes en tout, et le voilà reparti vers une priorité, ailleurs.

Alors je prends son Iphone™, je lui parle à ce truc, je lui dis : "Plus tard", et je le balance par la fenêtre.

- "Tu reprendras bien un peu de tête de veau ?" que je lui dis.

Je n’étais pas peu fier.

J’ai maintenant pas mal d’emmerdes.