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La surface de réparation

mardi 16 octobre 2012, par Grosse Fatigue

J’écoute France-Info c’est le soir, la blanquette de veau, j’ai le cafard, premier cours avec les hirsutes du réseau social, 500 amis en ligne, pas un livre depuis 12 ans, depuis Oui-oui, Le club des cinq, de quoi se flinguer. Je finis le rouge et le camembert, j’ai de la viande entre les dents. J’écoute les journalistes. Est-ce le côté franchouillard de la bouteille, ou les petits-suisses de mon enfance dans leurs papiers blancs ? Mais qu’est-ce que j’entends, qu’est-ce que c’est que ces journalistes qui commentent leur actualité ? Mais qui leur a donné ce droit ?

Super-prolo s’éveille en moi.

Comme Hulk, je verdis.

Je redeviens mon père, ou n’importe qui à la chaîne, les types virés, les épiceries fermées, les hauts-fourneaux. Peut-être parce qu’il y a foot à la télé et que je me laisserais bien aller à regarder, parce que j’aimais pas enfant, mon père, il regardait le foot, et moi, je voulais être tout sauf être comme lui, alors voilà. Il y a comme une transmutation en moi, une empathie pour les autres (SIC), les prolétaires jamais levés du bon pied, les virés, les bas du grade, et même les types qui laissent des messages plaintifs qui m’énervent à "La-bas si j’y suis".

J’écoute ces journalistes parler d’Audrey Pulvar, de l’image de Montebourg, de leur actualité du jour. Mais enfin ? Pourquoi parler de tout cela sur une radio publique ? Pourquoi ? Pourquoi ne pas parler des usines qui ferment, des étudiants abrutis de réseaux sociaux, de tous les mensonges auxquels on croit, la croissance en berne, le PIB, la place de la France ? La 150ème réforme scolaire qui ne changera rien, la fin des devoirs dans le primaire depuis 1956 ! La fin du bac ? Parlez nous des gros mensonges, pas de vous, du club, de Paris, la France, c’est pas Paris, non ? Si ? Mais qui êtes-vous ? Pourquoi donc tant de petites histoires, qu’est-ce qu’on s’en fout ? Où qu’il est le type qui va nous sortir de la merde ? Hein ? Qui va nous dire que les millions de chômeurs feraient mieux de s’habituer : le plein-emploi, c’est pas pour demain, ni après-demain, ou alors, faudrait autre chose que les annonces en cours. Ah oui : le misérabilisme ne plaît pas au public. Je le vois bien dans le train. Les bourgeois ont vu leur niveau baisser : on ne lit plus Le Monde, ou bien moins, on lit "Closer" et autre merdouilles. Aux concerts classiques, il n’y a plus que des vieux. La bourgeoisie s’enfonce aussi, c’est vraiment la fin : il nous faut de l’anecdotique, du croustillant, des conneries oubliées dans la minute.

Je rêve d’un Etat de gauche, avec de vrais instituteurs, pas un parent d’élève pour donner son point de vue. La blouse pour tous. Des livres d’histoire. Tous Français, tous universels. Pas une communauté religieuse. Un peu trop d’autorité pour faire juste ce qu’il faut de vrai révolté à 17 ans. La science en fête, la science, pas les curés ! Les scientifiques sont les seules personnes intéressantes en 2012, avec trois écrivains et deux musiciens. La musique, tiens, allons-y, obligatoire pour tous, dès la maternelle ! Putain je rêve, c’est dingue. C’est pourtant pas le pinard, à peine un demi-verre ! C’est pourtant pas non plus un trou dans l’espace-temps. Mais qu’est-ce qui se passe ?

Tout m’énerve. Je lis Salman Rushdie pour me calmer. Un bien fou. Je relis Régis Debray, ah merci Régis Debray, merci. Ouf. Ça va mieux. Super-prolo se rendort. Je me calme. J’ai honte bon sang.

Je regarde le jardin noir dans la nuit humide. La radio me dit que Benzema vient de passer dans la surface de réparation. J’ai l’impression d’y vivre depuis 1970 dans la surface de réparation. On n’y fait rien d’intéressant. On est vieux, on est vieux, et pas que moi. Le but s’éloigne et plus personne n’essaye. Triple A, triple B. Tant de choses à réparer, et pas qu’en surface. Le pays est moche. Les villages sont moches. Les parkings. Les zones pavillonnaires. Les gens dans les voitures à cinq places.

Je jette mes emballages, je remplis le lave-vaisselle. Ah, quel con. Quel rien du tout.