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Son double onirique et les comptables

mercredi 23 septembre 2015, par Grosse Fatigue

Le matin les réveils sont rudes. Autrefois, je n’étais pas du matin. Je traînais dix minutes après la sonnerie, en imaginant une sortie honorable à la monotonie. Je rêvais après les rêves de la nuit, puis il fallait s’occuper des enfants, et s’éveiller. C’était la vie normale. J’imaginais que la vie normale des autres pouvait s’écrouler du jour au lendemain, parce que l’on voit mieux les autres que l’on ne se voit soi. J’avais l’impression d’être entouré d’inaltérable, avec des murs, des amis, quatre enfants, ces idées banales.

Aujourd’hui, le réveil de six heures interrompt par bonheur un mauvais rêve. Les rêves matinaux sont les pires. Non seulement a-t-elle détruit ma vraie vie - je survis - mais voilà qu’en plus, son double onirique vient en rajouter. Les doubles oniriques le font exprès. Ils viennent volontairement nous bouffer ce qui nous reste de liberté, de sommeil. J’évite le sommeil. Je le recule au-delà de minuit, je l’interromps au plus tôt. Le sommeil n’est pas réparateur : elle y fait tout le temps son apparition. Elle va jusqu’à me réveiller, comme du temps heureux où le petit nous réveillait tous les deux. Elle avait alors toujours une minute d’avance sur ma profondeur de rêve, et se levait avant moi. Aujourd’hui, son double assure sans doute sa vengeance, et bien que dormant seul, j’ai comme l’impression d’un poids, un poids dans ma tête. Viendrait-elle me faire peur si je m’étais levé avant elle autrefois ?

Dans mon rêve, elle est insaisissable. C’est toujours un rêve facile à comprendre. Il n’y a aucune surprise. C’est toujours dans une maison à retaper, elle a des amis et pas moi, les pièces sont vides elle n’y est plus, c’est simple comme bonjour. Son double onirique m’annonce qu’elle est heureuse de m’avoir quitté, et en rajoute, et m’empêche de dormir. J’ai envie de psychotrope et d’hallucinogènes, je me mets à mieux comprendre les junkies, qui doivent eux aussi avoir des fantômes plein la tête. J’ai déjà connu cela avec d’autres. A chaque fois que quelqu’un vous quitte, le diable envoie dans nos têtes son double onirique. J’ai connu cela avec les morts, avec les disparues. Avec les vivantes aussi. Je ne crois pas aux vertus réparatrices du rêve. Les rêves viennent pour nous rendre fous. Rien de tout cela ne finit jamais. J’ai envie de me fuir, et l’impossibilité même de cette envie enrichit ma folie, que je ne peux compenser qu’en écrivant ces bêtises dans le train de six heures, au milieu des comptables éveillés et des gentils endormis. Les comptables sont du matin. Je me dis ça depuis quinze ans en prenant le train. Il est possible mais insensé que les comptables soient eux aussi des types largués, envahis par une quelconque femme en fuite, et qu’ils cherchent dans la monotonie des chiffres l’échappatoire salutaire aux femmes disparues.

Etant nul en maths, je reste sans espoir.