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Se convertir au Galibier

mardi 12 août 2014, par Grosse Fatigue

Chacun a son Galibier. D’autres ont le Ventoux. Il faut pédaler pour arriver en-haut. De là, redescendre. Pas plus absurde que le saut à la perche. Les secondes durent des heures. Il faut pédaler.

Il faut pédaler.

C’est en montant le Galibier que j’ai cru comprendre la définition du beauf, notre contemporain, celui qui vient de me doubler à Plan-Lachat en ignorant tout à la fois mon effort et la beauté du coin, quand j’ai pris son rétroviseur dans l’oreille. Après tout, la route est à lui. Tout est à lui. Le paysage, la montagne, les parkings des supermarchés. C’est comme ça en camping-car. Diogène tu parles.

Tout est aussi au motard, qui coupe dans les virages et se moque bien du cycliste qui ne coupe rien en descente. Tout appartient enfin au conducteur de 4X4, cet Américain qui s’ignore, quand il s’arrête pour immortaliser le paysage avec son téléphone portable, en prenant soin de ne pas couper son moteur afin de maintenir la température au conditionnel. Contrairement à ce que ne savait pas Cabu, le créateur du concept, le beauf est avant tout un américain, avec une minuscule. Comme pour la plupart des américains, tout lui semble possible, tout lui semble autorisé. Tout est faisable et sans conséquence. Je grimpe vers le sommet en devenant moraliste. Je suis pour les interdictions.

Il faut pédaler.

J’ai vu des gamins dans la vallée, avec des vélos tous terrains électriques. Les prothèses s’implantent de plus en plus tôt. J’ai vu des marcheurs obèses, surtout des femmes. J’ai vu des crétins en Segways, cette invention formidable qui ne sert à rien quand on peut marcher. A quoi bon remplacer les vélos par un truc contenant trois ordinateurs pour rester en équilibre ? Une grosse Allemande fume une clope sur sa moto devant une boulangerie et me salue comme si j’étais solidaire.

Il faut pédaler.

Je rumine en montant.

Je rumine en redescendant.

J’ai un mal fou à aimer les gens, même en montagne, ce qui est pourtant un gage de qualité : les pires ne sont-ils pas à la plage ? Je les ai vus à la télévision. Il faut que je me calme. Que les obèses grimpent dans les montagnes, c’est mieux que rien.

Je pédale.

Et puis dans le passage à dix pour cent, je rattrape un gamin, un vrai gamin, peut-être dix ans. Je lui propose de prendre ma roue, ce qu’il fait pendant trois kilomètres. Je le salue en le quittant, je le salue en redescendant vers Valloire. J’imagine que c’est son père qui attend tous les deux ou trois kilomètres. Je n’imposerais pas ça à mes gamins, mais celui-là a l’air d’aimer la chose.

Il reste un peu d’espoir dans un monde sans Jimmy Hendrix.