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Le problème du paysage

jeudi 24 janvier 2013, par Grosse Fatigue

Le pire, c’était en première. Non pas en première B du temps où l’on montait sur les tables en cours d’histoire pour crier notre amour à celles qui finiraient - bac B oblige - dans des succursales bancaires à voir leurs culs s’aplatir avec les années.

Dans les wagons première du TGV, l’équipement est à son comble. J’ai compté jusqu’à trois terminaux interconnectés par personne assise. L’une d’entre elles tenait un Ipad™, consultait son Iphone™ tout en pianotant sur un PC portable ultra-fin et parfaitement vulgaire. C’était sans doute l’une de ses patronnes de boîtes de nuit décolorée, à la cuisse jambonneau-saucisson, si l’on me permet bien de me moquer encore une fois, disons une dernière fois, de l’aspect de mes contemporains avant la mort de leurs corps. Car pour leurs esprits, j’ai de sacrés doutes. En attendant que le train vomisse son flot puisque je descends ici, je regarde à droite à gauche en première. Voilà le XXIème siècle. Une puissance de calcul individuelle supérieure à tous les ordinateurs du temps de David Vincent quand il pourchassait les Envahisseurs. Tout ça pour quoi ? Pour demander à un lointain horizon sa position GPS : "T’es où bla bla bla ?".

Un type un peu fumiste assis en biais au fond du wagon me regarde de biais aussi. Sans doute un ancien gauchiste m’ayant vu en seconde en allant au bar voiture 15. Il se marre en nous observant faire la queue pour descendre vers le quotidien. Il lit un vieux livre de poche épais et ratatiné, jauni par les années, un bon livre sans doute, puisque usagé tout comme nous autres. C’est un zombi, un dinosaure, nous nous saluons inconsciemment, avouant lui et moi les limites des foutaises psychanalytiques dans notre geste commun. C’est juste que nous nous sommes reconnus au regard.

Enfin à quai, j’y pense : pourquoi ce besoin de la connexion permanente à distance ? Et pourquoi tout est-il si laid dans cette gare, et pourquoi la disparition des plantes vertes, des arbres et des petits oiseaux ? Et pourquoi les zones commerciales et les panneaux publicitaires et toute cette crasse dans les plis fessiers infinis des obèses de tous pays, unissez-vous ?

Les gens ne regardent plus du tout les paysages. A tel point que les imbéciles décideurs de la compagnie nationale des chemins de fer ont décidé, très souvent, de coller d’immenses autocollants publicitaires sur leurs trains régionaux. L’alentour est si laid que l’on reste entre-soi, à regarder nos petits écrans, à parler aux gens lointains peut-être déjà morts, allez savoir si la vitesse de la lumière n’a pas changé tant la lumière elle-même nous manque ? D’où l’intérêt des écrans et de leurs fonds avec palmiers et Club Merde™.

La beauté reste une promesse minuscule, un instant rare, la beauté c’est comme avoir du temps et des amis, c’est un luxe. J’aimerais traverser des paysages où l’on n’aurait jamais mis le pied, des zones interdites à l’activité humaine, on y passerait dans des tunnels parfaitement transparents, Tchernobyl™, Fukushima™, des aquariums géants où la vraie vie serait prometteuse et simple. Mais j’ai honte, il faudrait fabriquer des tunnels et du verre, et des promoteurs seraient capables de les équiper de relais 4G. (Il faut que je pense à jeter tous les films de Walt Disney™ une fois rentré chez moi.)

Que faudrait-il faire pour que tout redevienne beau et simple ?

Il faudrait juste que l’on s’en aille.

En prenant le train.