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Je nous déteste

lundi 24 octobre 2011, par Grosse Fatigue

Je nous déteste.

Je nous déteste souvent. Je dis nous mais je n’en suis pas. Je suis cosmopolite. Mais je ne le suis pas vraiment. Je le suis uniquement dans le sens où j’apprécie les gens appréciables en évitant dans la mesure de la faiblesse de mes sens de m’arrêter aux premières considérations perçues. En gros, ne pas faire attention aux éléments indépendants de la volonté. En plus simple, ne pas s’arrêter à la forme, la langue, les héritages. Juger les faits.

C’est justement ce qui m’a pris en montant dans le train régional ultrabondé de notre chère régie nationale. C’est qu’on fait des travaux d’envergure en même temps sur l’ensemble du réseau. Eh oui, nos polytechniciens ont préféré tout faire partout à la fois plutôt que d’entamer des chantiers agiles et furtifs les uns après les autres. Nous avons les meilleurs ingénieurs du monde.

Je nous déteste.

Le peuple entassé reste sur la plate-forme derrière la porte du train. On n’avance pas dans les couloirs. Je propose à la cantonade de pousser un peu dans les couloirs, quitte à être debout, autant l’être dans un étalement confortable. Une rombière refuse ma proposition somme toute honnête et caractérisée par une logique évidente. Elle nous dit : "On n’est pas des sardines, y’en a marre de la SN…". Je lui réponds que, ne voyant pas le rapport, si elle veut libérer ses plis boudinés par des années d’ennui, il lui suffit d’agir en occupant l’espace. Je la prends pour une imbécile isolée mais la foule, par son silence, la soutient. En France, on n’est pas solidaire, ni bien logique au-delà du bout de son nez. C’est une leçon de sociologie culturelle. Plutôt que d’avoir à mettre dans l’embarras des gens assis devant soi, on préfère rester entassé à l’entrée. La grosse idiote me rappelle qu’en plus, "On n’est pas dans un bus". Je ne vois pas le rapport.

Je nous déteste.

Plus loin, dans mon couloir central et solitaire, deux jeunes, des plus jeunes que moi en tous cas, ont posé leurs valises sur deux sièges vacants. Je leur propose de les mettre ailleurs, sur la tablette devant eux, par exemple, ce qui libérerait deux places. Le type me répond : "Plus tard, quand on aura fini de manger nos sandwichs." Bien entendu, la foule ne dit rien. On pourrait m’asperger d’essence, c’est à la mode, que personne ne serait concerné. Je précise à l’impétrant qu’il s’agit ici de libérer de la place, même pas pour moi, sacrifié volontaire à la verticalité, mais à, disons, des gens plus âgés, comme le boudin informe d’il y a trois minutes, dont la chair hypertrophiée mériterait de vivre sa vie d’accordéon, plon-plon, plon-plon, plon-plon. Le type n’en a cure. Sa copine le soutient, les gens n’ont qu’à rester debout, leurs valises sont assises. Je sens mes muscles de cyclistes ne faire qu’un bon dans mes poches et rester bien au chaud. Quel con d’avoir choisi le vélo !

Je nous déteste.

Et puis je trouve une place assise, et même deux, un peu plus loin. Deux types normaux retirent leurs valises et je m’assois, seul. L’un des deux, volubiles, ne comprend pas la connerie des gens. C’est D’Artagnan.

Merci D’Artagnan.