Accueil > Manque d’en-train > Un piano à Montparnasse
Un piano à Montparnasse
dimanche 1er juin 2014, par
Au kiosque, les deux Chinoises ne me parlent pas. Elles se parlent entre elles dans une langue étrangère, avant de s’adresser à un autre asiatique derrière la caisse, cette fois-ci en français ma bonne dame. Puis un employé noir leur prête un sourire en français à nouveau, le tout devant l’ébahissement médiatique bien tempéré de la presse française. Il paraîtrait que le fascisme revient tout neuf tout frais sous ses meilleurs atours, pour 2017. Aussi sûr que le réveil des volcans d’Auvergne, dont la presse parlera un jour par ailleurs.
Oui petit, nous sommes arrivés à la gare Montparnasse.
J’aime Paris.
Puis nous sommes allés au Louvre avec tous les enfants, et surtout ceux des autres. La Joconde est toujours sans aucun intérêt, mais l’extension globale de la classe de loisirs lui ajoute une touche totalement pathétique. Face à elle, des groupies absurdes la photographient à coups de téléphones portables ou de tablettes envahissantes. Bien pire encore : les gens se photographient avec la Joconde en arrière-plan avant de s’en retourner faire la même chose devant la Vénus de Milo. Et personne ne remarque cette jolie statue de femme à l’entrée, cette femme allongée et sublime pour laquelle j’ai obligé mes enfants à faire le tour. Mais papa ? Eh oui, les Grecs avaient de drôles d’idées à propos de sexe... Mais je les trouve moins décadents ces Anciens que nos maîtres américains, leurs snikers, leurs shorts, leur enthousiasme pour la poussière pour peu qu’elle puisse se transformer en or, sans compter leur taille et l’obésité générale d’un monde qui bouffe tout le temps. Des gens me parlent en anglais pour s’excuser, je les ignore. Et pourtant, je prononce très bien le Fuck Y’all. Le Louvre est l’estomac du tourisme globalisé. J’ai un peu honte de partager l’absence de joie face à ces foules libres et photographiantes d’un Paul Morand dans "Le voyage". Je n’ai qu’à dire que je hais les voyages et les explorateurs pour être de gauche, même si, moi mâdame, j’ai bien lu Levi-Strauss et pas Poivre d’Arvor.... Je hais les touristes. En être un me rend complexé, paranoïaque, schizoïde et j’en passe. Bipolaire pour être à la mode. Heureusement qu’ici, je parle la langue. On pourrait bien être à Barcelone ou à Berlin, tout est pareil. Le ripolinage USA est d’une efficacité incroyable. La marée humaine n’est concurrencée que par celles des produits dérivés. Il est d’ailleurs plus sûr d’acheter un livre sur Leonardo Da Vinci pour être sûr d’en comprendre les subtilités. Mais à regarder la foule de la fourmilière, je vois bien que la lecture n’est pas son fort : personne ne lit les légendes au bas des tableaux. Personne. Elles sont bien moins usées que les marches, le flot les délaisse. Elles subsisteront seules un jour.
Le mouvement me chagrine, je rêve d’ennui, j’en viendrais presque à désirer voir un film des frères Dardenne...
Une jolie institutrice harangue ses petiots dans la galerie de la peinture française du XIXème. Et si je reste fasciné par le Couronnement de Napoléon, je le suis encore plus par les seins de cette jeune femme, si trop hauts, si trop lourds et paradoxaux, l’innocence de son regard, le fait d’être au milieu des mômes lui retirant la charge érotique qu’elle aurait pu porter si je l’avais vue à St Tropez. Mais n’allant jamais à St Tropez, je fus ravi que le ravissement vivant des formes puisse encore venir jusqu’à moi, au milieu de la boue humaine et gluante de la globalisation touristique.
Existe-t-il une dictature sous nos cieux et aujourd’hui même ? Oui : il y a la classe pavillonnaire.
Partout dans les rues, les affiches de Marine et de son copain ne sont pas arrachées. Je sais que la phrase précédente est très étrange. Mais c’est bien cela : plus personne ne prête attention au Front National, si ce n’est la presse qui en fait des choux gras. En flânant, je me demandais aussi ce que le Front National pourrait bien faire contre tout cela, la beauté de l’institutrice ou la banalité du mal américain, la douceur et le prix des glaces dans l’île Saint Louis ou les Chinoises de la maison de la presse à Montparnasse. Que changeront-ils à la crêperie bretonne tenue par un couple de maghrébins de Paris ? Je dois être malade, je suis optimiste. Paris nous prouve l’impossibilité d’un quelconque retour. Non mais je dis n’importe quoi. Je ne devrais plus écrire. Il suffirait de regarder la face sombre de la monnaie de la pièce, voir ce que font les fous dans les musées belges. Il faudrait se laisser emporter.
Et puis, à Saint Sulpice, j’ai découvert un peintre étrange, une sorte de personnage de Jacques Tati, un évadé. Nous nous sommes demandé si nous pouvions être nostalgiques d’une époque que nous n’avions pas connue avant d’avouer s’en foutre. Je me suis dit qu’il serait vraiment bien de s’y mettre pour pouvoir, un jour, lui acheter une toile avec mon argent à moi. Dans la Tour Montparnasse, j’ai ensuite demandé à un japonais s’il parlait anglais, le type effrayé m’a répondu en japonais, ce qui fit rire la japonaise devant lui. J’avais juste constaté qu’il partageait avec mon fils une cicatrice à la base de la nuque, ce qui pondérait mon jugement sur la mondialisation : apparemment, la médecine elle aussi mondialisée opérait les tumeurs du cerveau chez l’enfant de la même manière, ce qui me rassura.
En repartant, les enfants sont allés jouer du piano dans le hall de la gare, et puis on a regardé les gens. Un noir élégant nous a joué Beethoven et Michael Jackson, une petite fille blonde a tenté Mozart et puis l’un des militaires qui regardait tout cela en couple avec son équivalent s’y est mis aussi. Alors là, je n’en croyais pas mes yeux. Un bidasse avec un béret s’est assis sur le tabouret du piano de la gare Montparnasse, ce piano auquel il manque un FA, et s’est mis à jouer du boogie-woogie et du Yann Tiersen. Cabu, m’entends-tu ?
J’ai compris ce qu’était le vrai mal français : il faut marcher dans les rues pour y découvrir la vérité simple des gens. La marche devrait être obligatoire.
Mais je mens un peu : nous avons aussi beaucoup pris le bus, comme des touristes.