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Je ne sais plus qui tu étais - Michel Jonasz

mercredi 9 mars 2016, par Grosse Fatigue

Dans "Guigui", une chanson de Michel Jonasz que l’on chantait à tue-tête dans les couloirs du bâtiment D de la cité-U d’autrefois, il y a cette ritournelle plaintive de l’oubli. "Je ne sais plus qui tu étais".

C’est la phrase qui m’est venu en tête quand il a fallu à nouveau consoler la petite dans son lit ce soir. Non pas que j’ai oublié qui était ma fille. Mais quand elle m’a dit qu’elle aimerait tant que tout redevienne comme avant, me mettant face à ce mur que je croyais avoir oublié, moi qui suis si sûr de m’en tirer avec les honneurs, quand elle m’a dit cela, j’ai pensé à Jonasz et à Guigui.

Depuis, l’air me trotte dans la tête.

Comme j’ai senti à la fin du repas et après la petite discussion du soir, que j’avais comme un ballot réveillé la chose, on a regardé des Youtubeurs pour être de mon temps. L’un d’entre-eux jouait un intellectuel qui lisait Libé et qui discutait politique sur son blog. Je me suis senti complètement con.

Et puis la petite est revenue dans mon bureau, l’œil humide, papa, j’arrive pas à dormir, et c’est là que je suis allé m’allonger près d’elle. D’ailleurs aujourd’hui, on a appris sur France-Inter dans l’après-midi que le héros des deux petits, Michael Jackson, dormait avec des petits garçons. Le petit m’a demandé si c’était un pédophile, j’ai dit oui, voilà sa part d’ombre.

Dans son lit, j’explique à la petite que maintenant on est heureux à nouveau, que tout va bien. Mais rien à faire. Elle me dit qu’elle sait bien, mais qu’elle voudrait que tout redevienne comme avant. Parce que les parents divorcés de ses amis, ils se parlent. Eux, ils se parlent.

Là, je ne sais pas quoi dire. Il y a un silence. Et des sanglots.

Elle sait bien que le silence vaut mieux que toutes les injures. Je préfère me taire. Je n’ai plus rien à dire à sa mère. Il vaut mieux ne rien dire. Que dire à quelqu’un qui a voulu me séparer de nos enfants, qui a écrit aux gens qui m’ont soutenu, qui n’a aucune limite et c’est à ça qu’on les reconnaît ?

Je rassure la petite.

Mais il n’y a rien à faire.

Dans la matinée, j’ai cherché une image perdue pour l’imprimer. J’en ai trouvé plein d’autres. Le passé en couleurs, avec beaucoup de sourires. Je n’ai pas été ému.

Je me souviens de cette impuissance-là. C’est celle que l’on ressent face à la mort. Il n’y a rien à faire. Et pire : l’expliquer à nouveau à une petite fille. Je n’allais pas lui dire que je savais bien qu’il y aurait pour toujours une grosse fêlure dans son enfance. Je ne savais plus quoi dire. Voilà ce que je voulais dire.

Sa mère, je ne sais même plus qui c’était.

A minuit passé, je préfèrerais lui en inventer une autre. C’est dire.