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Les vingt ans qui restent

mardi 1er mars 2016, par Grosse Fatigue

Dans quelques jours, j’ai cinquante ans. Je me suis laissé pousser la barbe et au boulot les commentaires fusent. Avec ou sans, ça te vieillit, tout ça. Les autres sujets de conversations sont épuisés depuis longtemps. On essaye bien de partager quelques livres. Mais nous sommes trop vieux pour penser que le monde va changer en bien. La plupart s’en foutent. Il faut gagner sa croûte. Je rêverais bien d’aventure, mais rêver... Aujourd’hui, j’aime le quotidien. Le train m’épuise et je dors peu. Sauf dans le train le soir. J’ai mes habitudes en quelque sorte.

Et puis un ami m’a demandé ce que j’envisageais pour les vingt ans qui me restent à vivre, d’une manière à peu près décente, si la chance se maintient. Enfin bon, la chance... Il m’a dit que ça faisait déjà vingt ans que j’écrivais toujours à peu près la même chose ici-même, que c’était sans doute rassurant, mais inutile et dérisoire. Il me l’avait déjà dit il y a vingt ans. Il avait raison sur tout.

Que faire des vingt ans qui restent. Faire de son mieux sans doute. Regarder le monde s’écrouler petit à petit. Le décrire sereinement. Ecouter les enfants grandir. Oui : écouter les enfants grandir. Continuer la pâte à modeler et le potager. Mais quoi d’autre ? Avoir peur.

Peur des résultats d’analyse. Peur des amis qui s’en vont. Peur des cancers du sein. Croire au diable cette évidence, et pas en dieu, cette idée démente. Regarder les hommes politiques pendant qu’ils sont debout. Imaginer que ça va péter alors que ça ne pètera pas tant que l’on n’a pas faim. Relire de vieux livres. Admirer les types qui ont été capables d’aller jusqu’au bout. Faire autre chose.

A vrai dire, je pense beaucoup aux parents qui avaient mon âge il y a quelques années. J’ai vu ce qu’il leur restait à vivre. Je l’ai vécu avec eux. Souvent comme un poids en trop. Ils étaient fatigués avant l’heure, à cause de l’usine ou du manque d’amour ou les deux au même endroit. Qu’ai-je à me plaindre ? Aucune raison finalement. Il ne faut rien attendre des autres, et si les surprises sont bonnes, s’en réjouir. Que faire des vingt ans qui restent, puisqu’il n’y a plus de perspectives pour changer quoi que ce soit, et que je me satisfais largement du potager, de la pâte à modeler et des dessins du petit, de la musique en général et des amis quand ils sont là. Rien d’autre n’arrivera, ou alors le pire.

Je revois ceux qui avaient mon âge quand j’en avais trente.

Il faudra à la fin, juste avant d’être un poids mort, en finir proprement.