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Eliette Abecassis : merci

vendredi 29 janvier 2016, par Grosse Fatigue

Une amie m’a proposé de lire Alyah, le bouquin d’Eliette Abécassis. Je n’avais pas vraiment envie, les livres sur l’exil, ça me fait toujours peur. Il est treize heures et je rentre chez moi, c’est vendredi, c’est aussi l’hiver humide et étrange de la déconfiture. Les champs sont alignés tout aussi bien qu’un tableur excel™ et ce que je vois de la vitre du train ne m’intéresse presque plus.
Dans le livre, on parle d’autres trains, de souvenirs, de départs et d’autres pays. J’ai freiné ma lecture au chapitre six, ressentant comme une envie pressante d’écrire moi aussi, pour moi, pour faire le point, comme pour accoucher : une envie physique de coucher quelques mots, pour faire comme cette femme qui nous raconte sa vie à travers un personnage de fiction, et qui nous donne envie de la connaître elle, avant qu’elle ne parte vraiment, partir comme on quitte.
Dehors, un paysan fait un feu de bois autour d’un étang que je viens de découvrir, car nous roulons lentement et qu’il a dégagé les pourtours de l’eau.
Je ré-apprends le rôle des Marranes dans la modernité. J’ai eu des cours à ce propos, par de grands spécialistes qui concluaient sur Spinoza. Mais jamais je n’avais lu cette histoire avec autant de clarté.

Moi aussi je rêve d’Alyah, de départ vers le pays de mes racines ou de ma religion, même si je n’ai pas de religion et que je considère - comme Salman Rushdie - que les hommes ont surtout des pieds.

Je rêve de retourner en enfance, ou bien juste à ce moment précis s’il existe, où l’on peut faire des choix pour l’avenir (SIC), où l’on peut prendre des risques.

Mardi soir avec les enfants, nous avons célébré le jugement de la séparation. J’ai acheté du Champomy™ et c’était la fête. J’ai envoyé des emails et des textos et je n’ai jamais reçu autant de réponses enthousiastes. J’ai l’impression d’avoir gagné la Seconde Guerre Mondiale en connaissant l’heure au calendrier : à mon horloge biologique de la fin de la famille, nous sommes le 11 novembre 1918. Ça n’est pas si bon signe. Mais les enfants criaient de joie et nous inventions de nouveaux mots - c’est un peu une tradition - pour se réconforter. Nous avons ri du beauf qui ne sera pas leur beau-père, surtout quand je leur ai dit qu’il faisait des séances d’UV en cabine. Nous l’avons imaginé en string léopard, petit bourgeois provincial en partance pour les Antilles, en espérant qu’il se bouchera le nez si, d’aventure, il devait croiser de vrais Noirs, allez savoir. J’ai de nombreuses conclusions à conclure sur ce qu’était ma vie de couple, ou sur l’amour, ou sur la mère de mes enfants. Au-delà de l’abjection totale de son départ, il me reste cette chose savoureuse : elle m’a quitté pour un type qui fait des UV. On est peu de choses....

Alors oui la juge a tranché. Voilà pour le provisoire. Nous resterons dans la maison une semaine sur deux tous ensemble, et c’est juste. A des voisins qui m’ont dit à la gare l’autre jour, c’est quand même fou qu’elle ait voulu ça, elle est quand même intelligente, non ? Quand même ! (C’est un voisin qui dit souvent "quand même"), j’ai répondu qu’Hitler était intelligent, et que le mal et l’intelligence ne sont pas antinomiques : quand même.

Il a opiné du chef. Il a peut-être pensé à son chef à lui, puisque, dans une discussion ancienne, il me disait justement que son chef à l’usine, bien qu’intelligent, était un sale con. Nous y voilà.

Je me suis excusé de leur avoir fait lire ce qu’ils ont dû lire, mais voilà : la mère de mes enfants s’est sentie obligée d’envoyer des SMS à la quarantaine d’amis qui m’ont soutenu, précisant ce qu’elle avait pu oublier de moi, et inventant ce que l’on invente dans ces moments-là : le passé.

Voilà. Dix-huit minutes et je peux retourner attaquer le chapitre six. Eliette, ne pars pas tout de suite, moi aussi, j’aimerais te raconter des histoires, si tu veux bien.