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La guerre à contre-cœur

mardi 15 décembre 2015, par Grosse Fatigue

Déjà je n’aimais pas la guerre. Même tout petit je détestais nos batailles dans les jardins des autres et les pépinières alentours. Je préférais construire des cabanes dans les champs et dans les cerisiers ou creuser des trous, partir à l’aventure jusqu’à la rivière et rêver de la descendre le plus loin possible, Tom Sawyer. Non, je lisais la guerre dans les livres de mon père qui retraçaient la sienne, la Seconde, la Dernière, j’y apprenais l’horreur, celle que vous savez, puisque maintenant, personne n’est ignorant de la guerre.

Au tribunal, j’ai dit bonjour à la mère de mes enfants et à son avocat ce matin. Son avocat m’a répondu bonjour.

Puis la juge m’a écouté dix minutes.

A la radio maintenant, Bruel vomit Barbara. Il n’y a plus de respect quand on veut gagner de l’argent.

Mon avocat a parlé. Il parle plutôt bien. L’argumentaire était en ma faveur mais il me semble que j’aurais pu faire aussi bien. Quand son avocat à elle a parlé, je n’ai pas compris. C’est à cause des films américains : dire la vérité, je le jure, dire la vérité. Cet avocat a commencé à dire n’importe quoi, mais sans vergogne, sans retenue. J’étais assis à côté de lui et je la regardais elle, et je reconnaissais le visage de la femme que je n’aime pas. L’autre est enfouie à l’intérieur, elle apparaît de temps en temps, je le sais bien, comme l’autre soir il y a quinze jours où, en pleurant, elle me disait qu’on était si heureux, si heureux. Il y a une femme enfouie dans la femme que je regardais pendant que son avocat peinait à atteindre le niveau de Bruel singeant Barbara. Enfin bon, je dis cela, mais le morceau est passé. Et d’ailleurs, le morceau est passé. Chacun a dit sa vérité et j’aurais bien aimé que l’on dise la vérité mais, si on l’avait dite, on n’aurait pas été là. On n’aurait pas été là.

C’est le jour le plus triste de ma vie. Je ne sais pas quels furent les jours les plus beaux ou les plus gais, je laisse cette comptabilité aux naïfs. Peut-être ce jour où, elle et moi, sommes allés dans la salle de réveil revoir ce gamin de sept ans, que l’on avait définitivement guéri de sa tumeur du cerveau. Ça, c’était un beau jour. Le gamin avait la tête gonflée, il était bleu, rouge et violet, mais c’était les couleurs de la rédemption, le drapeau de la victoire. Sa mère et moi nous tenions la main et la guerre était finie.

C’est le jour le plus triste de ma vie. J’ai entendu des mensonges sur moi, j’ai entendu la laideur. Je croyais que l’on devait s’élever à l’âge adulte, voilà donc le contraire. La guerre à contre-cœur qu’il faut assumer. Les quelques témoignages écrits en face, ces gens que j’aimais aussi, et qui ne savent pas - quand elle ne leur a pas dit le contraire - qu’elle veut me séparer de mes enfants et qu’elle a demandé la garde complète.... Me séparer de mes enfants : autant m’assassiner !

Et son avocat qui me reproche d’être musicien ! De faire de la musique ! Le samedi matin ! Un nouveau délit ! David Guetta m’aurait-il dénoncé ?

J’hallucine. Belle expression. Je ne pouvais pas lui répondre. Mais la parlote étant de mon côté, il l’a échappé belle.

La guerre à contre-cœur est officiellement déclarée.

J’ai dit à la juge que j’aimais mes enfants et qu’il m’était impossible de ne plus les élever. Il faut que j’élève mes enfants parce que j’ai vu des enfants mal élevés et que je sais les enfants sans père : je sais les enfants sans père madame le juge.

Le sens de ma vie est maintenant dans les mains d’une jeune femme qui n’a sans doute pas quatre enfants. J’ai essayé de comprendre son attitude, comme si je devais relire Erving Goffman. J’y ai vu des choses, j’ai voulu me rassurer. Si je devais remonter dans le temps et oublier mes frustrations, je ne sais même pas ce que je ferais. Après tout, les enfants sont là.

Là.