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Nature morte

mercredi 21 mars 2012, par Grosse Fatigue

Je roule à vélo je prends l’air je veux avoir encore quinze ans l’année prochaine, si tout va bien.

Je vais aussi chez jarditruc™ et je vois les gens des pavillons acheter des détergents pour leurs allées en gravillons concassés par des esclaves en Inde.

Je fonce à VTT dans des forêts trop bien entretenues.

Je me souviens des nuits en Sologne quand on rentrait du patelin de mon père après une journée de pêche à la ligne, vairons, et parfois une truite, mais surtout des vairons. Le pare-brise de son Opel Manta - qualité allemande qu’il disait, sans savoir que des Américains s’y cachaient depuis 1922 - finissait couvert d’une glue d’insectes suicidaires. Dans les phares, les années sans mixomatose, des dizaines de lapins et des histoires de ce genre, on en vivait tous. Les moustiques en Sologne. Les abeilles. Un bestiaire complet pour Francis Cabrel.

C’était bien.

Je monte une côte en VTT carbone dernier-cri de l’homme. J’en bave un peu. Mais je veux prolonger mes quinze ans, c’est humain. Et puis ça n’est pas du golf, tout de même.

Chez JardiTruc™, des beaufs achètent en barquettes plastifiées des tomates prêtes à être décongelées, Hybrides F1, comme les voitures, et sans mentir ! Impossible de replanter les graines des survivantes d’octobre pour l’année d’après : peine perdue.

Je retourne la terre, je retourne des vieilles poutres en guise de frontière potager/terrain de guerre des enfants. Comme le plus crétin des crétins, je trucide au sécateur deux ou trois limaces et là, je m’aperçois que l’une d’elle est un triton porte-bonheur, minuscule qui hibernait là. Il me regarde je le vois bien, je viens juste de lui ouvrir le ventre, il me demande pourquoi, pourquoi je viens de le tuer et je m’excuse et je m’en veux. Trois jours après je m’en veux encore. Je voudrais qu’on lui fasse une stèle à mon triton perdu, parce qu’il était le symbole de mes prises de conscience, comme la sauterelle de l’année dernière ou l’araignée épeire de septembre, grosse jaune et noire et sauvage.

C’est que : je n’utilise pas d’engrais, d’insecticide, rien. Juste du fumier de cheval et de cochon d’Inde, et nos épluchures pourries. Et les bestioles peuvent bien venir, les coccinelles, les hérissons, les amis de la terre en perdition. Je regarde le pare-brise les nuits qui viennent et mes enfants n’auront pas de souvenir d’insectes, de rien. La nature est aujourd’hui bien entretenue. Des machines et de la chimie. Les paysans étaient déjà cruels, ils sont aujourd’hui bien organisés.