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Des tapis violents

mardi 24 novembre 2015, par Grosse Fatigue

Bien sûr que je les comprends. Ces types-là, ces types qui ne valent rien et même moins que leurs pères venus de loin pour être Charlie Chaplin à la chaîne à Billancourt dans des Temps Modernes dépassés, et puis les voilà trois générations après dans des cités moches à ne rien faire, bien sûr que je les comprends. On leur a dit qu’ils étaient d’ailleurs et d’ailleurs ça n’était pas toujours vrai, on leur a dit qu’ils avaient une culture, voire qu’on allait leur enseigner la langue de leurs pères comme si c’était un régionalisme, on leur a dit de prier dans des caves alors qu’on ne priait plus du tout nulle part ailleurs, on a demandé à des cousins saoudiens de venir les tenir en laisses sur des tapis de fortune des fois qu’ils continuent à faire n’importe quoi, des fois qu’ils s’envolent. Des tapis dans des caves ! On leur a dit "vous" en les montrant du doigt et en les tutoyant parce que : délit de faciès.

Pas tous bien sûr. Juste quelques-uns. Ça suffit pour faire une mèche.

Combien ?

Je ne sais pas compter.

Puis on les a branchés en permanence sur des endroits par paraboles interposées. On n’arrosait plus les fleurs qui poussaient sur les balcons, elles étaient tournées vers des satellites, vers là, mec, vers là. On leur a dit qu’ils pourraient être tranquilles s’ils restaient tranquilles, on leur a dit en français, en arabe, en verlan. Ils ont dealé des trucs du shit des flingues. Ils l’avaient mauvaise depuis tout petit. Leurs cousins restés au pays nous disaient qu’ils nous avaient envoyé les pires et que ça les faisait bien marrer de voir les cheznouslàbas revenir l’été pour faire les cakes au bled et repartir rapidement vers la terre promise d’où ils étaient sans en être parce que là-bas, les flics qui les attrapaient leur donnaient pas des coups de cravaches, ni des coups de fouet.

Et puis il y avait les filles de ces frères-là. Elle essayaient d’être bonnes à l’école mais souvent à quoi bon. Djemila. Je me souviens de toi.

Mais j’exagère. Il faudrait savoir compter. Combien étaient-ils à commencer ? Et maintenant ? Sont-ils suffisamment nombreux pour nous terrifier ?

Compter.

Bien sûr que ça doit être mieux d’être un super-héros dans un pays lointain où l’on peut violer des femmes et avoir des armes à volonté, et d’être enfin quelqu’un, plutôt que rien : un héros, un martyr. A volonté : inverser les rôles, passer du paria au parrain, comme dans un film avec Al Pacino. Aujourd’hui Daesh, hier Al-Qaïda. Demain ? Demain n’importe quoi ! On peut toujours détruire le mal en Syrie, ceux qui restent ici ne sont pas en reste. Ils trouveront une autre excuse, une autre mode, une autre violence. Car quoi ? Car ce ne sont que des voyous, des gangsters, déguisés en religieux à la va-vite. Mais il s’agit juste d’une délinquance, la même qu’en Californie, la même qu’à Chicago, une délinquance puissance XXIème siècle, Honduras ou Guatémala, le prophète à la place des tatouages sur les visages des sectes d’Amérique Centrale. Aujourd’hui la Syrie, demain le Liban, l’important est dans la destruction, dans la violence. Quand on ne peut rien construire, on peut toujours détruire : croyez-moi. Détruire, c’est toujours une forme d’action plus satisfaisante que l’inaction. Détruire ou subir, détruire ou attendre, détruire ? Mais souvenons-nous : quel plaisir ! Les fourmilières à coups de pieds, les châteaux de sable des autres enfants, les têtards explosés, les grenouilles qui fumaient, les serpents écrasés, le paint-ball ou les jeux de simulation où l’on stimulait nos virilités en tuant ceux qui bougeaient encore, pixel par pixel, puis en 2D, puis en 3D, puis en vrai... C’est pourtant facile à comprendre la délinquance : elle s’immisce chez ceux qui n’ont rien à faire. Ils se regroupent et pillent et tuent, se fabriquent une religion au besoin, au mieux quelques symboles, des bonnets rouges ou des foulards bleus. On mourrait pour moins que ça à Los Angeles avant-hier. Plus de morts à South-Central qu’en Palestine.

C’est dire.

Demain, ça continuera. Car nous n’avons rien à proposer que l’enfermement, car "nous" n’existe plus, car on ne vit que pour des choses périmées. En finir en Syrie, et nous creuserons des trous plus loin, encore plus loin. A l’arme de guerre.