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Deux feuilles d’érable

lundi 9 novembre 2015, par Grosse Fatigue

En descendant vers la gare, je suspecte la lumière du matin, je la scrute et je cherche en vain une bonne photographie. Il faudrait être capable de s’étonner de tout et surtout de rien, et cadrer la monotonie du quotidien avec de jolies proportions et une lumière diffuse, voire une femme nue mais elles sont rares de nos jours.

A la radio avant de partir, j’ai écouté Fabius nous parler du réchauffement climatique et de cette nécessité évidente d’abaisser de deux degrés la planète comme si c’était un four électronique.

Il paraît que des gens croient que l’on va changer tout cela. Pourtant, hier soir, sur le parking de la boulangerie (parking : tout un symbole), une famille de repus un peu trop gras attendait attardée je ne sais quoi moteur allumé et clope au bec. En sortant le pain chaud sous le bras, le père a jeté son mégot sur le sol bitumé, moteur allumé pour rien, sans doute parce qu’il croit consommer plus en redémarrant, croyance somme toute assez classique chez les nécessiteux de la bagnole. Que faire de ces gens-là à la COP21 ? Sans doute rien. Pas assez sexys pour la communication et les grands bavardages.

En descendant vers la gare, après l’un de ces ronds-points qui nous coupent définitivement de l’esthétique de la France des années soixante-dix ; c’est comme ça, il y a des choses qui nous éloignent ; il y avait cet employé municipal. Un seul humain, avec un balai, un chariot surmonté d’une poubelle elle-même garnie d’un sac plastique vert - tout un symbole ne rions pas - et personne d’autre. Cet humain souriait en un rictus permanent. Puis, tout comme moi, il a vu ces deux feuilles d’érable sur le sol, à l’emplacement exact d’une place de stationnement vide. Il a alors allumé sa machine à souffler les feuilles, ces machines qui remplacent les râteaux même dans les villes qui n’utilisent plus de pesticides, puis a soufflé sur les feuilles avant de tenter, en vain, de les jeter dans sa poubelle verte. Les deux feuilles refusèrent d’obéir, et la circulation empêcha notre quidam de ramasser de l’autre côté de la rue cette feuille ocre et rouge comme une publicité minuscule pour le Massachusetts en octobre. J’ai souvent regardé ces gens-là et leurs souffleurs dorsaux malaxer inutilement tant l’air que les feuilles, pour un coût exorbitant et un bénéfice nul : les feuilles servent d’engrais aux arbres, en temps normal.

Mais qu’importe. A la maternelle, la cour de récréation est à nouveau décorée d’un bitume noir et bien enrobé. Les marronniers n’ont plus accès à l’eau de pluie tant leurs troncs sont encadrés de près par la dérive pétrolière. Les feuilles ne leur fourniront aucun nutriment, et ils crèveront bientôt.

Nous les accompagnerons, j’imagine.

PS : une lectrice me signale qu’Onfray mieux de lire ceci. C’est très vrai.