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De petits projets

samedi 26 septembre 2015, par Grosse Fatigue

J’ai de tout petits projets. Mais vraiment des choses, ridicules, minuscules. Ce sont des points sur des calendriers, comme les bornes d’autrefois qui indiqueraient le temps qu’il nous reste à parcourir. Parmi ceux-ci, il y a le projet de voir mes enfants. C’est un projet incongru quand on n’est pas navigateur solitaire mais c’est dorénavant ainsi. Chaque semaine, j’ai le projet de voir mes enfants la semaine d’après. Et c’est mon projet le plus cher, le plus important. Les voir là alignés sur la table de la cuisine à manger et rire et chanter et poser des questions et le petit parlera de Spiderman à un moment donné c’est certain. Eh bien : c’est mon projet chronique.

Demain matin, je vais faire du vélo avec deux amis. La journée sera marquée d’une pierre blanche. De même qu’un autre ami va se mettre au vélo et, dans un élan de folie, va acheter en solde le même modèle que le mien. Voltaire aurait trouvé cela ridicule. Pour ma part, ça me fait plaisir. Cet après-midi, avec les deux petits, nous sommes passés à la librairie pour acheter les livres du grand qui a quinze ans demain. Je connais le vendeur. Il m’a dit qu’une professeur de collège encourageait les gamins à acheter en ligne sur la Fnac ou Amazon.... Je lui ai dit qu’à la médiathèque de mon école, plus aucun livre n’est ouvert depuis au moins cinq ans. Mais que je continue à en commander parce que ça fait beau dans le décor néon high-tech aux lignes fluides et futuristes de la Scandinavie à venir, bois clair et baies vitrées. Il m’a dit : "GF, t’es un poète". On s’est promis de boire une bière un jour. Un autre projet.

Dans les livres du grand, il y avait Candide que j’ai envie de relire, car je crois que c’est Voltaire qui m’a un jour ouvert les yeux, avec Cunégonde, le tremblement de terre, et l’amour final pour mon potager. Il y avait aussi La ferme des animaux, et des nouvelles de Romain Gary. Orwell, Voltaire et Gary, du beau monde. Et au milieu de tout cela, Paolo Coelho, "L’alchimiste". Quelle horreur.

Ce monde me fatigue.

Dans quinze jours, je vais passer trois jours et quelques nuits dans une municipalité frontiste. J’y suis déjà allé mais à l’époque, je n’aurais jamais pensé qu’un maire juif défendrait l’extrême-droite. En 2003, je ne savais pas que tout est possible, et pourtant, j’étais majeur depuis longtemps, et j’avais déjà deux enfants. Je vais à Fréjus faire du VTT pour confronter mes quarante-neuf ans avec la dernière montée cimentée, celle où l’on a des crampes, avant de redescendre dans le ruisseau, de passer sous le pont, de remonter sur la droite, de prendre le chemin des douaniers, de passer sur la plage et de finir sur la ligne d’arrivée à moitié mort. C’est un petit projet. J’y vais avec des amis. On ne parlera plus des femmes. Il est trop tard pour ça. Je crois qu’elles sont toutes parties.

Je vais acheter une imprimante pour mes photos. Ça y est. Je n’ai plus le choix. J’ai réussi quelques jolies choses et je n’ai pas de quoi les voir sur du papier en noir et blanc. Je me suis formé sur un logiciel, j’ai un écran, il va falloir calibrer, pester, faire quelques essais, et s’habituer. J’aurais à nouveau ce plaisir d’offrir des photos de nu parce que j’ai un nouveau modèle - une grande nana plantureuse - et j’aurais l’impression d’être un artiste dix minutes, ce qui est satisfaisant. Mais j’ai peur de passer pour un satyre à cause de mon âge. Je vais m’acheter un imperméable, pour la panoplie.

Puis viendra Noël. On en a parlé avec les enfants. C’est beaucoup moins drôle Noël, Cécile, beaucoup moins drôle. Je ne sais pas si les enfants seront avec moi, avec leur mère, je ne sais pas. Mais la petite m’a dit, dans l’enchantement de ce que la petite peut dire, elle m’a dit, "Mais papa, on n’a qu’à fêter Noël ici et on invitera maman, et comme ça, ce sera bien !"

Alors j’ai repensé à la vague conversation que j’ai eue une heure avant avec leur mère, Cécile, justement. De ces conversations qui n’ont pas lieu d’être. Une salade avec des avocats, un juge, une date de comparution, des condamnés. Oh, ça n’est pas à ce point-là. C’est juste qu’il y a ma requête à moi, et qu’elle est au courant. L’avocat a demandé des choses parce que c’est son métier, parce qu’il s’y connaît. Parmi ces choses, la petite ne le sait pas, il n’y a pas d’invitation pour maman à Noël. Ça ne fait pas partie du projet.

Pour Noël, il faudra trouver autre chose. Et, si ça se trouve, je serais parfaitement seul.

Alors je me déguiserai en Père Noël, je m’offrirai une imprimante et quelques photos de nu, puis j’irais me coucher en écoutant la neige. J’aurais peut-être les enfants au téléphone. Je me souviendrais de l’horreur du Noël de l’année d’avant, quand le grand a dit : "C’est le dernier Noël en famille". Et je chercherai un projet, un truc bien.