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Vers la merde

lundi 21 septembre 2015, par Grosse Fatigue

Je regarde mes enfants manger. Ça rigole et ça discute et papa explique-nous, explique-nous ! Je fais de mon mieux. La taille de la Terre, l’éloignement de la Lune, pourquoi les parents de leurs copains leur apprennent à croire en Dieu, cette idée un peu absurde quand on voit la taille de Jupiter entre autres. Et la politique et les migrants et l’extrême-droite.... Non petit, ils ne nous aiment pas. Même toi papa ? Oui, même moi. L’extrême-droite, c’est la raison du plus fort. Il y a quelques variantes, quelques mutations, quelques chapelles et des dissensions. Mais, sans le savoir, l’extrême-droite, c’est toujours la raison du plus fort.

Et nous papa, on est les plus forts, non ?

Disons que non. L’important pour nous, c’est de ne pas sous-estimer l’ennemi.

Papa, ça veut dire quoi ?

Ça veut dire qu’il faudra se méfier des gens, à l’avenir. Même ta sœur qui est blonde, ils pourraient lui en vouloir.

Ça va être à ce point-là papa ?

Oui et non. Contrairement à ce que disent les Emours, ces prédicateurs du pire, il y a plusieurs courants dans notre fleuve. L’un d’entre-eux, c’est nous. C’est un courant fort mais silencieux, il doit passer sous les branches basses près des berges et se fait discret. C’est un mouvement de non-croyants : celui du mélange. Il suffit de se balader dans la rue n’importe où, dans les parcs, pour voir que les Français se mélangent bien plus que ce que l’on nous dit.

C’est quoi l’autre courant papa ?

C’est le repli. Les Emours nous en parlent. Il y a beaucoup de replis partout.

C’est les Français le repli ?

Non, pas seulement. C’est beaucoup de gens aussi. Le repli, c’est celui des gens qui n’aiment pas lire les livres, pas écouter de la vraie musique, enfin, j’imagine.

Mais papa, notre avenir, c’est quoi ?

Je ne sais pas encore. Mais ça ne s’annonce, pour l’instant, pas très rose.

T’es sûr papa ?

Non, pas sûr.

J’aime les conversations avec les gosses. La petite ne dit rien. Depuis quelques temps, j’ai l’impression que tout l’inquiète. Je sais bien que depuis que sa mère est partie avec un con, elle croit plus difficilement en l’amour. C’est bien normal. Elle ne dit rien. Elle va avancer dans la vie avec un regret éternel, et je ne m’y ferais jamais. C’est comme ça. Il y a tant de dangers autour de nous, et tout cela est si visible. Mais elle, en aparté, me dit, la larme à l’œil, qu’elle aimerait bien que maman m’aime à nouveau.

J’avais oublié l’espace d’un instant que maman ne m’aimait plus et qu’elle était partie définitivement avec l’un d’entre-eux, pure vérité, un facho, un vrai, l’horreur. En rangeant les assiettes dans le lave-vaisselle, je me suis demandé ce que l’on pouvait dire des gens et de l’amour que l’on devrait leur porter, et des efforts qu’il faut faire, oui, que dire à des gamins dont la mère est partie pour l’un d’entre-eux, alors qu’ils étaient heureux, cabane dans l’arbre, balançoire, chat et poissons rouges ?

Vers la merde : voilà où l’on va. Comme tout le monde. Pas d’échappatoire.

Et c’est bien dommage.