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Oradour

jeudi 27 août 2015, par Grosse Fatigue

J’ai emmené les enfants à Oradour sur Glane. J’ai coupé court au dessin animé japonais du matin, j’ai recherché un documentaire sur le massacre, je leur ai dit de regarder. Un vieux monsieur a raconté comment son copain coiffeur est mort sur lui, fauché par les balles. Puis comment le feu lui a brûlé la peau. Puis comment il est sorti avec quatre autres hommes. Une femme est sortie de l’église par le grand vitrail. A l’intérieur, ma fille m’a demandé par quel vitrail elle avait pu sortir. Par le plus haut, le plus central. Sur les images d’autrefois, on voit encore le landau criblé de balles. Aujourd’hui, seules subsistent ses roues, devant l’autel.

J’ai demandé au petit ce qu’il pensait de tout cela. Il m’a dit : "C’est beau".

Puis nous n’avons plus rien dit. J’ai regardé les touristes se prendre en photo selfie devant les ruines. Devant les garages et les squelettes de vieilles voitures noires, carcasses de dinosaures cramoisis dans un Pompéï français. Le Vésuve local a disparu depuis longtemps, mais c’est pour prévenir les âmes des enfants que je les ai amenés ici. J’avais moi-même le souvenir du village lors d’une visite avec mes parents. Curieusement, les ruines ont l’air plus jeunes aujourd’hui. C’est qu’on les entretient comme on entretient la mémoire. Il faut cimenter, soutenir, aménager. Les arbres ne poussent pas dans les ruines, sauf quelques-uns. Le crépi est parfois neuf. Le décor ressemble à un décor. De cinéma. Aucun film à ce sujet. J’imagine que cela viendra.

Je fais des photos dans la grand rue. J’aime les câbles du tramway. J’aime les signes des années trente. Les écussons. Par exemple : il ne faut pas toucher aux fils, même tombés à terre. L’Etat a certifié telle balance dans un magasin disparu. A l’entrée du village, du côté de l’église, les poteaux en béton datent des années trente.

Je vois la France d’autrefois : que de cafés ! Des artisans. Un cimentier. Un courtier. Un maréchal-ferrand. Un café-coiffeur. Un épicier. Une dentiste. Un boulancer. Des cafés encore. Un grainetier. Le disjoncteur général dans la grand-rue. Il fallait grimper sur un tabouret de protection isolé du sol par des plots en céramique. Le tableau en bois est toujours là. On aimerait remettre la lumière, pousser la manette vers le haut : lumière et vie ! Comme au théâtre, comme sur un plateau. Mais il n’y a plus de bouton. Rien.
Des cafés.

A droite de l’entrée officielle d’aujourd’hui, le marché aux bestiaux a conservé sa balance. Les bovins pourraient revenir dans les boxes d’avant-guerre, au milieu des automobiles noires.

Car il y a une entrée officielle, un sous-sol, un musée, une librairie. Les filles à l’accueil sont jeunes et sexy. J’aurais préféré que l’on évite tout cela. Mais j’imagine que c’est impossible. Un mur encercle le village. Ma fille me dit qu’il est récent. Il l’est sans doute.

Pas un supermarché, pas un parking : la France d’avant est là, fossilisée. Le village avait l’air très beau. Il me semble presque que c’est la beauté que l’on a voulu tuer ici, simplicité pastorale, bonheur villageois. Aucun autre village ne me donne l’impression d’une telle beauté passée. Vertu de la nostalgie.

On entretient les ruines. J’ai vu des images d’avant-guerre, quand les gens d’ici se baignaient dans la Glane. J’ai vu les enfants et les visages.

En repartant, nous avons acheté des bouteilles d’eau dans un supermarché. Le nouveau village est laid et pensé par des urbanistes, tout comme l’accueil de la mémoire. Tout ce qui est pensé me semble laid dès qu’il s’agit d’urbanisme. D’où viennent les habitants du nouveau village ? Que sont-ils venus faire ici ?