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Lyon sous la pluie

samedi 13 juin 2015, par Grosse Fatigue

Pour moi, Lyon, c’était la sortie du tunnel de Fourvières dans l’après-midi, quand, à vingt ans, je descendais en stop dans le midi. A l’époque, nous étions des dizaines à échouer là, avant d’échouer un jour, le long de la prison noire de Lyon, dont les murs m’effrayaient. Mais c’était aussi l’espoir de la dernière ligne droite avant la chaleur, le mistral et les cigales, les odeurs de lavande et de thym, la sécheresse annoncée, l’été en somme.

A la sortie du tunnel, il fallait parfois attendre des heures car nous faisions la queue. Il est des logistiques inconnues, et des lieux stratégiques ne correspondant à aucune guerre, simplement à la jeunesse et à ses voyages. Lyon et sa prison en faisaient partie. Attendre là, presque en file indienne, qu’un quidam nous prenne parce que, fatigué par son voyage, il avait besoin de compagnie. Les automobilistes nous demandaient de parler, je leur racontais mes chères études et ma découverte des grands sociologues. Je les emmerdais ferme. Je crois.

Hier soir Lyon sous la pluie. Nous sommes restés à la terrasse d’un café place Sathonay avec mon plus vieil ami, que je n’avais pas vu depuis trois ans. Des rastas gueulaient en vomissant des bières et des flics carrés sont venus leur dire de la fermer. C’est pas la Jamaïque ici. Nous les avons observés, sans doute en attendant le moindre geste de violence déplacée, qui n’est pas venu. Puis nous avons parlé de génétique et d’amour, ce qui n’est vraiment pas la même chose, puisque mon vieil ami est un spécialiste de la première et que nous sommes tous bizarrement des novices du second. Je lui ai raconté mes déboires en commandant à boire deux panachés avant la pluie. Il a conclu que mon histoire était épouvantable et incroyable et abjecte et nous en sommes bien conscients. Il m’a aussi demandé si j’en étais soulagé.

Puis la pluie a commencé à tacher la table en fer de ronds humides de moins en moins éloignés qui s’évaporaient avec la chaleur de l’air. Puis la pluie a fini par nous dire qu’elle s’imposait et j’ai souri à des tas d’inconnus sous des parapluies réfugiés à l’entrée du théâtre de Lyon, à écouter un quartet de jazz.

Mon plus vieil ami m’a alors demandé ce que ça faisait de se retrouver vingt ans en arrière. Je veux dire : célibataire.

Je n’ai pas su quoi répondre. Les Lyonnaises étaient nombreuses et jolies grâce à l’orage, et chacune était une vraie découverte car je vis loin d’ici. J’ai bégayé que je n’étais pas vingt ans en arrière mais vingt ans plus tard, voire trente ans après le tunnel de Fourvières, essayant juste de sortir d’un autre tunnel. Puis j’ai rejoint mon neveu lyonnais lui aussi. Nous n’avons pas refait le monde. Nous avons regardé le ciel noir en parlant de son mélanome et des espoirs d’un traitement.

Ce matin, il fait déjà chaud à Lyon. Je partirais bien nulle part, en stop.

Mais ça n’existe plus.