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L’heure du silence appuyé

mardi 31 mars 2015, par Grosse Fatigue

C’est dans une chanson de Jonasz Michel de son prénom. La nuit. La grande la belle.

C’est la nuit.

Les enfants sont restés à l’heure d’hiver. Ils sont décalés dans la maison trop grande maintenant. C’est fou la place que prend une mère quand elle est partie. Nous discutons du monde que je leur laisse. La fin de l’amour ils ont déjà compris, nous parlons génétique et pollution, analyse de la valeur, papillons noirs sur fond blanc. Nous parlons et le petit nous balance du neurone comme s’il en pleuvait. Ça fuse c’est bien ça rendrait presque optimiste quatre gosses seuls devant leur père ça fait comme un pluriel enchanteur. Nous avons mangé des pâtes cuites dans le bouillon du pot-au-feu que j’ai cuisiné samedi dernier pour les amis revenus. Oui, les amis sont revenus après l’incendie. Les enfants étaient aussi heureux que moi, quand je découvre un bourgeon sur mes lilas. Les amis sont revenus.

Je fais un peu la vaisselle et puis j’attends l’insomnie qui me fait compter les jours qui restent avant ma mort. Il y a un mois, je rêvais de dormir jusqu’à la mort mais là non. Là non.

Je sais que les sanglots vont monter comme un bouillon sanguin dans le cœur des deux petits. C’est la nuit c’est avant le sommeil les voilà seuls face à eux-mêmes oui maman est partie mais papa reste avec nous encore un peu. Le plus petit des deux s’écroule. Je sais ce que c’est que d’avoir six ans. Il s’écroule comme ces feuilles trop sèches qui crissent quand on les serre dans la main. Il s’éparpille, il pleure et puis dit dans un sanglot : "Je veux pas que tu divorces papa". Tu rêvais d’un autre monde. J’ai des chansons plein la tête, un truc générationnel. Il me dit "tu" comme si j’y pouvais quelque chose. Il me demande de raccommoder, de recoudre, de faire comme si. Et la petite regarde au loin dans la chambre de sa sœur, comme si un horizon s’ouvrait derrière les posters d’adolescente. Elle lève le menton pour coincer les larmes dans sa gorge, et puis en silence, les laisse couler sur ses joues de petite fille. Quand je pense que sa mère m’a dit il y a un mois qu’elle voulait "en profiter". Merci. Je profite aussi du spectacle. Il est vrai que les enfants, de nos jours, on s’en débarrasse. On les a faits pour ça. Et combien de témoignages pour nous rassurer : t’inquiète pas, c’est malléable, ça s’adapte ! C’est presque fait pour ça ! J’avoue avoir voulu quatre enfants de divorcés. Sinon, je n’en aurais fait qu’un. Bien sûr, il y a la liberté.

Au prix cher.

Chaque soir, je leur mens. Je déteste le mensonge mais ça s’arrangera. Oui, je vais trouver une autre femme, c’est pas ce qui manque. Bon, elle sera moins belle et moins intelligente et moins tout, mais ce sera toujours ça. Mais tu l’aimes toujours papa ? Meuh j’en sais rien c’est pas la question, j’arrive tout juste à bafouiller quelques virgules entrecoupées de voyelles et d’une ou deux consonnes. Tu ne dois pas montrer tes larmes comme ils disent, les conseillers. Ils m’ont dit t’es fort t’en as vu d’autres. Bah bien sûr. J’ai vu toutes les guerres et toutes les victimes et les pissenlits dans les ruines. Tu parles d’un espoir. Chaque soir, je mens. Je déteste le mensonge mais ça s’arrangera. Eux aussi tomberont amoureux et croiront dur comme fer éviter ce que nous avons cru dur comme fer éviter en voyant ceux qui, durs comme fer, tombaient les premiers. Et cette herbe plus verte là-bas...