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A propos de la fin

vendredi 20 mars 2015, par Grosse Fatigue

Un ami m’a dit il y a quelques années qu’à cinquante ans, tous les couples d’amis avaient disparu. Je ne dis pas "divorcé". Je dis : "disparu". Ce n’est pas rien. A l’époque, comme tous les candidats au couple disparu, je me sentais invincible. J’avais quatre enfants merveilleux, une mère formidable (la leur), une maison retapée, j’étais comme un cancéreux qui s’ignore. Je faisais partie des autres, ce dont on s’aperçoit toujours trop tard.

J’en profitais pour faire ma tirade marxiste sur le coût du divorce pour les prolos : une mesure bourgeoise qui a détruit la classe ouvrière, paupérisée par l’illusion de la liberté matrimoniale. Fin des solidarités familiales, errance des gamins, femmes aux foyers, etc...

A l’époque, ma femme était médecin. Aujourd’hui, elle est partie.

Elle m’a tenu le discours de la liberté et de l’espérance de vie. A vrai dire, elle m’a tenu tant de discours et pas la main, elle a fait tant d’allers et de retours coupables, que je suis à présent un malade permanent. J’ai aujourd’hui une empathie personnelle et forte pour les suicidés, les amoureux romantiques, les déprimés, les dépressifs, les délaissés. Je redeviens comme avant, quand je bossais à plein temps en attendant les lendemains qui chanteraient. Je rêve prolo de gagner au loto, comme mon frère du même acabit qui n’a jamais gagné mais divorce lui aussi, sans un rond, sans un mot trop haut, parce que c’est pratique.

Ma femme, enfin, l’ex-femme de ma vie, me l’a dit, libérale : il faut bien voir qu’aujourd’hui, le divorce est une mesure pratique, on ne va pas vivre ensemble quarante ans (tout en me disant qu’elle voudrait être avec moi dans cinq ou dix ans et voir les enfants grandir, je, euh ? Comment dire ?).

J’aimerais prévenir ceux d’après. Tout en mettant ma main sur les yeux de mes propres enfants, moi qui leur promettait papa et maman pour toujours à cause de l’amour.. Je rêvais d’équilibre, elle rêvait de voyages. Un autre lui a menti bien mieux que moi et a raflé la mise, tout en m’insultant pour jouir de sa bassesse. J’aimerais prévenir ceux d’après mais peine perdue. Une amie me prévient par texto : elle aussi est dans la tourmente. Ce n’est pas une catastrophe naturelle : on y est seul. C’est une catastrophe culturelle, la mode est au jetable. Nous n’avons plus le courage de nous aimer, plus l’obligation de se soutenir. Tout est contractuel et limité. L’enfance n’a aucune importance, le discours est à l’adaptation.

Je tiens à dire au monde entier une seule chose, et très sérieusement : j’en chie. Vous ne pouvez pas imaginer.

Mais les gens me disent qu’il faut aller de l’avant. Justement : avant, je préférais.