GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Impuissances > Pour les enfants

Pour les enfants

samedi 3 janvier 2015, par Grosse Fatigue

Dans la débâcle qui m’emporte, quand le cœur d’une armée rouge sang reflue, j’essaye de retrouver la raison, celle qui devrait nous guider dans la solitude des sentiments.

Puis je pense Israël, Palestine, et voilà.

Car les amis vrais ont choisi deux camps rivaux. Quant aux amis faux, il y a longtemps que j’avais repéré leurs dérives, passant des soirées où l’on finissait des pâtes à la bonne franquette en écoutant Ferré, jusqu’aux dîners presque mondains bien que nous vivions dans une petite ville de province. L’argent, c’est bien connu.

Deux camps pour les amis. Le camp du réalisme et celui du romantisme, celui de la raison et celui de l’amour, celui du laisse donc tomber elle va te détruire encore plus, celui du fonce si tu l’aimes. Le dilemme (le mot sonne), le dilemme est imputrescible. Il est debout depuis notre aube à nous. Cela fait déjà longtemps que j’avais choisi la raison contre les sentiments, en imaginant, à voir les autres, que cette subtile protection durait toujours. Je n’aime pas l’amour m’a dit la petite il y a quelques années, quand elle était petite, justement. Je partageais ce point de vue, l’enfouissant le plus profondément possible, à cause des chansons connues ne parlant que de cela, car voilà : je suis enfin adulte, et j’avoue. Cela m’est détestable.

Fonce, séduis-la. C’est impossible. Un autre l’a fait, un nouveau, et l’époque n’est plus qu’au nouveau. Le nouveau : c’est tout. Que le nouveau savoure ma défaite et qu’il se vante d’avoir tant détruit ma propre famille que celle-ci n’aurait plus qu’à tomber dans son escarcelle, comme un fruit pourri, c’est pathétique. Je lui réserve un chien de ma chienne. Il faudra attendre le plat qui se mange si bien quand il est si froid. Oui, humain, trop humain. Et je hais les chiens, dont la seule utilité est d’abîmer - si cela était encore plus nécessaire - le paysage.

Fonce, séduis-la.
Mais tu est trop vieux à force de t’oublier, de plaisirs simples, de livres, de vélos, de textes et de mots. Tu ne peux rien contre le nouveau. L’impuissance totale. Il vaut mieux la mort parfois, car il n’y a pas à la regarder trop longtemps. Voir la mère de ses quatre enfants quand elle n’est plus celle qui vous aime, est-ce nécessaire ?

Et la voilà qui, après une semaine nous deux à regarder les riches, leurs voitures et la Croisette, à me proposer d’être là, pendant que j’en bave, à proposer de revenir, bien qu’elle l’aime toujours, bien qu’elle n’en soit pas sûre, quand je crache sur nos tapis et que même les enfants me laissent indifférent. A dormir trois heures par nuit. A refuser les suppositoires et les suppositions sur la médicalisation nécessaire dans ces cas-là. Pas d’antidépresseur s’il te plaît, je veux savoir la vérité, la douleur, je veux vivre cela. J’aimerais juste connaître à nouveau le plaisir du sommeil, des rêves heureux, mais j’ai perdu l’enfance depuis quelques semaines, ce qui restait en moi, dont je croyais avoir le droit d’être fier.

Il faudrait partir, avoir la force, accepter la défaite, relire Kipling et appeler mon avocate.

Mais à notre époque, il faut essayer de rester aussi, pour les enfants, pour le cœur et ce que l’on a dedans, contre toute attente et d’ailleurs je n’attends plus rien, il faut rester pour les enfants, pour les enfants.

Car l’enfance est une invention récente. Quelques dizaines d’années seulement. Autrefois, on ne les aimait pas tant, ils travaillaient aux champs ou à la mine. Ce temps est revenu. J’ai vu à l’hôtel des enfants branchés dès le petit déjeuner sur des écrans bruyants, leurs parents avouant là l’inexistence de l’enfance. Oui, les enfants sont morts, il paraît même qu’on en tue au Pakistan. Nous ne faisons pas mieux.

Tuons les enfants.