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Ode aux patrons disparus

mardi 21 octobre 2014, par Grosse Fatigue

C’est ainsi que la radio nationale me réveille de mes insomnies. Le patron de Total est mort. Il volait en jet privé. Deux hôtesses et un pilote ont perdu la vie en Russie, en accompagnant le bonhomme bonhomme. Il volait en jet privé, était à l’aise dans tous les milieux, comme tous les vrais grand bourgeois qui vous tapent sur l’épaule, que vous soyez couvreur ou ostéopathe. Il n’y a guère que les pas bourgeois comme mon pote Thierry pour vous demander de ne pas trop en inviter les veilles de premier de l’an, parce que ça les met mal à l’aise.

Un bon vivant. Bien mort nous dit-on.

Non pas que je m’en réjouisse. Je ne souhaite la mort de personne, malgré la surpopulation.

Je remercie la radio nationale de m’apprendre que Rachida Dati était l’amie de ce monsieur. Le journaliste des Echos qui nous libéralise est aussi un ami. Christophe de M. n’avait que des amis. Pensez donc : à ce prix, on peut même être l’ami de la junte birmane et, pourquoi pas, d’un ou deux dirigeants de Daesh ? L’image des « très grands patrons » m’a toujours profondément ennuyé. J’avoue que, théoriquement, je m’en fous totalement. To-ta-le-ment. Car les gens importants sont inutiles, la plupart du temps. Les cimetières sont pleins de comptables et de gestionnaires d’actifs disparus à qui mieux-mieux d’un cancer de la gorge ou d’un train d’atterrissage. Les cimetières adorent les sénateurs. Je suis sûr qu’une place silencieuse attend Jean-Pierre Raffarin. Etait-ce un ami de l’autre ? Sans doute : dans le pétrole, on arrose large... Les grands patrons n’ont rien de génial. Quoi de plus conformiste qu’un grand patron, surtout s’il est français ? Où sont les inventeurs et leurs drôleries ? A la limite, Steve Jobs. Même si l’on vivait aussi bien avant l’ordinateur et les tablettes, même si je préfère le silence du paysage au bruitage des "petites poucettes", ces connes qui feraient mieux de lire un livre dans le train. Même si. Ah oui, même si ce mec avait un sale caractère.

Qu’invente-t-on dans le pétrole, à part la pollution ? Pour Manuel Valls, nous avons perdu un ami exceptionnel. Je propose de penser que la messe est dite. Le chef de l’Etat nous parle d’une vitrine de la technologie française.

Indécence.

Il est huit heures du matin, heure française. Le journaliste nous dit que c’est la consternation. A-t-il aimé le plug anal de la Place Vendôme ? Sans doute. Tout objet caoutchouté est un bonheur pour le bilan comptable dans ce type d’entreprise. Combien de morts ce matin ? Les sans-grade, ceux qui se battent à la frontière quelque part. Ceux qui rampent, qui rament.

Avons-nous perdu toute morale ?

Il est huit heures du matin, heure française. Les journalistes insinuent que le conducteur du chasse-neige était en état d’ébriété. Champagne ?

Vodka.

Outre Christophe de M., il y avait trois personnes sans nom dans l’appareil. Je salue leurs familles, qui pleurent dans leurs coins. L’anonymat est une qualité infime.

Plus tard dans la matinée, je suis allé chez le dentiste. J’ai feuilleté Paris-Match. Une soldate kurde sur une photo souriait, en faisant le "V" de la victoire. Sur une autre photo, un abruti tenait sa tête décapité dans la main droite. Je pense à elle.