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Revoilà Kévin

mercredi 3 septembre 2014, par Grosse Fatigue

C’est l’anniversaire du petit. Rien ne change. Même si la gauche de droite est maintenant ouvertement de droite, ce qui n’est pas vraiment de droite puisque la droite a toujours eu un peu honte d’être de droite, même s’il faut beau, qu’aucune centrale nucléaire n’a explosé en France depuis quinze jours (rien n’est sûr, nous en saurons plus avec du retard), même si je me demande si j’ai encore des choses à dire, même si la farce des rythmes scolaires en est une de première catégorie, voilà : les copains du petit viennent samedi prochain. Et parmi eux, il y a Kévin. J’en ai déjà parlé. Kévin est un idéal-type weberien. La mixité sociale, il la symbolise. Sur Kévin, j’ai lu tout Bourdieu autrefois, avant la naissance de Kévin, et bien avant la mort de Bourdieu. Je lui ai préféré ce qu’en disait Boudon, c’était plus évident, plus raisonnable et rationnel, plus compréhensible. J’ai mis du temps à me faire des idées claires sur la question, mais moi aussi, j’avais des caries petit.

C’est peine perdue de toutes façons. Je suis trop vieux pour croire que l’on peut changer les choses à une époque où les instituteurs font seulement ce qu’ils peuvent. Puisque tout ce veau, tout va à vau l’eau, la mère du petit me demande de laisser tomber. Il n’y en aura qu’un. Un seul Kévin. S’il y en avait une majorité, on mettrait les nôtres dans le privé. Voilà ce qu’elle m’a dit. De même qu’une commerçante d’origine arabe m’a confié avoir mis sa fille dans le privé parce que les abribus du public étaient tout cassés. Mais elle a trouvé le privé très cher. Et pourtant nos impôts payent gracieusement les enseignants du privé, merci qui Mitterrand ?

Bon.

Kevin donc.

Kevin a des caries. Un paquet de caries. Le petit me dit que ça n’est pas très grave, ce sont des dents de laid. Oui, quand on a des dents comme ça, on n’est pas bô. Mais Kevin a surtout des parents. Au-dessus de ses parents planent les spectres de Bourdieu à gauche et de Boudon à droite. Ils me regardent gentiment quand je le vois le matin entrer en CP. Je lui serre la main. C’est réconfortant. Bourdieu me décrit la misère du petit, les symboles sociaux, sa boucle d’oreille, sa coupe de cheveux, son survêtement trop grand. Boudon sourit dans son pyjama : il me parle de stratégies en fonction des moyens de la mère, de l’absence du père, de la logique du social, de ce social-là, et les deux me parlent de vocabulaire. Kévin en a très peu. Ce qui fait rire mon gamin. Kévin pique dans les supermarchés. Son père lui a appris. Kévin vient samedi. Et nous sommes des bourgeois : on n’est plus locataire depuis longtemps.

Je ne sais pas quoi dire à Kévin. Je sais juste qu’il aurait mieux valu le retirer à ses parents très tôt. Même si maman la maligne accouche dans le privé grâce à la CMU - pourquoi pas ? - même si papa travaille sur les chantiers - je l’ai vu - ça sent pas la rose dans le décor familial. Ça se traite de con à peine qu’on se traite mais sans jazz ni java. Ça traite aussi de négros, de bougnoule et d’enculé, et ce, dès le plus jeune âge. Tu vas voir ta gueule si tu continue [1] à faire chier, ton père va t’en mettre une, cet enculé. Véridique. On n’est pas chez Céline ma pauv’dame. Et le voilà samedi. Six ans, ça se fête.

Je suis content qu’il vienne.

Je vais essayer de faire mon magicien.

Moi aussi j’ai des rêves de gosses.


[1pas de s