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Ventoux la lune, une apologie du hasard

dimanche 31 août 2014, par Grosse Fatigue

J’étais en vacances avec des amis connectés en permanence. L’un de leurs enfants devait passer au moins cinq heures par jour perfusé par écran plat. Le hasard est sans doute une bête noire et curieuse, mais j’ai refusé le GPS quand il s’est agi d’aller acheter des chaussures de vélo pour son père. Nous nous sommes perdus dans des zones commerciales plus ou moins industrielles, puis dans la Garrigue, puisque c’était le sud, et que le temps dure longtemps.

J’ai pris plus tard mon vélo, sans doute le lendemain matin, pour aller tâter de la Montagne Sainte Victoire, mon téléphone portable en poche, en cas d’urgence. Ayant perdu mon chemin, j’ai rencontré des autochtones qui s’ennuyaient comme moi avec leurs femmes le dimanche matin, sur de beaux vélos de route. Avé l’assent, ils m’ont emmené, dans la joie et la bonne humeur, faire cent-vingt kilomètres avec eux. Je remercie encore le hasard pour m’avoir fait croiser leur route. J’ai découvert de splendides panoramas, je sais tout d’Aix la bourgeoise et de Marseille la prolétaire, mais aussi des heures d’ouverture des massifs et du maquis en été, quand il a plu, et que rien n’est interdit. Et puis, surtout : rencontrer des astronautes en plein été au nord de Marseille grâce au hasard, c’est très romanesque.

Car ils m’ont proposé d’aller tâter du Ventoux dans la semaine, profitant de l’occasion. J’ai donc suivi mes cosmonautes jusqu’au Chalet Reynard, en écoutant les blagues d’hommes divorcés dans mes eaux, cherchant encore de quoi ferrer par sites internet interposés. Après un café, nous avons continué vers le sommet. C’est là que j’ai compris la nécessité de la tenue : Hergé n’a sans doute jamais fait le Ventoux. Tintin non plus. Les Américains ne sont pas au courant. Aussi est-il bon de ne pas traduire ce qui suit, nos cadres et nos roues sont chinois, soit, mais de là à leur livret un tel secret.... Car voilà : le six derniers kilomètres du Mont Ventoux, on m’en avait parlé ! Mais sans jamais m’en dire la vérité nue, crue, dépouillée : le Ventoux est un raccourci secret vers la lune ! Oh que c’était merveilleux de prendre le Mistral de face, et de voir cette fusée posée là-haut, sur l’un des cratères de la Lune. J’ose le dire maintenant : aller sur la lune n’a pas de prix, mais faire le Ventoux est une récompense presque spatiale, où le hasard arrange les choses. D’autres extra-terrestres nous accompagnaient dans le froid et le blizzard de ce sud planétaire, avec leurs drôles de combinaisons et leurs vies sans autre but que d’attendre la lune, de la décrocher, et de redescendre vivant, sans capsule ni Appolo 13 : la conquête de l’espace se fait par hasard, sur cette rampe de lancement du midi, les cafés dans les villages du Luberon, ces villages ronds et ombrageux, les terrasses et les platanes, le tout couronné de cette lune secrète qu’on ne peut atteindre qu’à vélo : nous les avons survolés sur ce satellite, par cet escabeau, ce trou dans l’espace-temps, cette rampe de calcaire d’une autre ère, où règne en maître le vent, c’est écrit dessus. J’ai vu au loin les Alpes, dans l’autre loin le Massif Central, et partout ailleurs la mer ou le nord, selon mon degré d’extase du devoir accompli.

Encore merci au hasard de m’avoir placé là, sans connexion et sans attache, poussé par la perdition que me guettait, loin des cartes et des prothèses, des écrans etc., juste à la force du mollet (des cuisses à la vérité). C’était si bien la lune en vélo.

J’ai lu plus tard dans Books que l’Occident se cherche dans le yoga, avec, preuve à l’appui, la photo d’un type se regardant l’anus - souplesse incongrue, à la Molinier - à défaut de se regarder le nombril, ce qui me semble rester le symptôme d’une même maladie, que j’appelle dorénavant l’ennui contemporain. Alors que moi, oui madame, j’ai décroché la lune.

J’ai appris encore plus tard que François Hollande, que je prenais pour un discret alors qu’il est, lui aussi, plus que médiocre, avait remanié son gouvernement. Vu de la Lune, une telle manœuvre m’a paru dérisoire, presque aussi inexistante que Ségolène Royal dans le cœur solitaire des hommes vraiment amoureux un jour.

Et encore plus tard, j’ai su que, de tout cela, je préférai la lune et le bruit du hasard, avec mes cosmonautes méridionaux, une sorte de vraie vie.