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Le feu aux poussettes

mardi 10 juin 2014, par Grosse Fatigue

Le gamin a douze ans moi aussi j’ai douze ans. Je veux dire que j’ai un gamin de douze ans même si c’est une fille. Le gamin a foutu le feu pour la deuxième fois à une poussette dans un immeuble pourri d’une banlieue lointaine où l’on ne sait pas ce qu’il se passe autrement que par les médias car à vrai dire nous n’avons plus de famille dans les parages. Il nous faut des témoins.

Et le voilà à la radio ce matin. Sur ma nouvelle radio - j’ai détruit les autres à coups de marteau méthodiquement, et puis : amnésique - j’entends le témoin. C’est toujours un type du quartier, un type rassurant. Un type comme il n’y en a pas dans les autres quartiers. C’est quelqu’un qui a une vision biaisée tant de la réalité que de la simple politesse car là-bas, j’imagine, tout a disparu quand les gens - mais lesquels ? - sont partis. Le type nous dit que le gamin flamboyant (est-ce cela un enfant qui fout le feu aux landaus ? ), le gamin est gentil, il est même poli, il n’a pas de casier judiciaire, il est comme ton fils, il est putain totalement normal.

Avant, j’aimais pas les gens normaux.

Je regarde mes gamins jouer du piano je me sens hyper bourgeois et même d’un point de vue géographique si cela existe et je sens que nous n’avons pas ; le témoin et moi ; la même notion de la normalité depuis que le relativisme de Feyerabend a contaminé jusqu’à la gauche morale je crois. (Non : j’en suis sûr. Anything goes m’a tué).

Comme le monde a changé.

Les enfants normaux des quartiers lointains mettent le feu aux poussettes mais c’est la faute de la mairie si l’immeuble prend si facilement feu. Ce n’est pas la faute des parents, ni celle des profs, ni celle des frères et sœurs voyez-vous, c’est la faute à l’irresponsabilité. Depuis que les bourgeois ont autorisé le divorce pour les prolos tout en fermant les chaînes fordistes pour les rouvrir en Chine ; oui, c’est un raccourci, mais je n’ai pas que ça à faire, les enfants ont cours de piano ; depuis ce temps-là, les services publics disparus sont responsables des irresponsables et tout ce qui peut arriver n’est de la faute à personne tant même l’idée de faute a disparu aussi vrai qu’un Minitel™ et pas que dans l’imaginaire nostalgique du futurisme d’autrefois.

Autrefois, je nous imaginais mélangés, républicains, une sorte de France un peu pimentée, où l’on prenait nos responsabilités, où....

Je me tais. D’autres concluront très mal mes doutes et je me contente de me taire, car l’impuissance est une rivière en crue dont aucune digue ne peut calmer la force. L’impuissance est la dernière valeur commune des gens qui habitent loin, mais aussi j’en suis certain, de ceux qui ne témoignent pas, de ceux qui voient et qui ont peur, ceux que l’on montre du doigt et finissent par appeler un chat un chat et voter pour Jeanne d’Arc. J’ai jamais tué de chat. Ou alors, c’était pas exprès.

Il faut dire aux enfants qu’il y a des choses bien. Il faut le dire vite. Il faut aussi leur expliquer le monde, il faut les reprendre en main : c’est un peu le but du temps imparti qu’il nous reste à vivre non ?

Naïveté.

Et quoi ? Trois, quatre morts à nouveau. Et encore une autre fois.