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Tuons, tuons !

samedi 12 avril 2014, par Grosse Fatigue

J’avais commencé à tuer tous mes voisins avant de m’aviser : le désert avançait. Le dernier voisin, le petit patron du petit bar-tabac d’à-côté, vient d’échapper avec bobonne à mon AK-47. N’étant pas nordique, je ne suis pas un vrai violent. Je me vois mal tuer directement des tas de gens innocents de quelque chose tout en étant moi-même très coupable. Je continue donc à acheter un journal en papier tous les mercredis de toutes les semaines de toutes les années qui passent et de celles qui viendront. Ouf.

Je viens de manquer de tuer un chat qui voulait tuer ma chatte celle-ci ayant tué un rouge-gorge et raté un lézard. Le printemps est meurtrier. Mais pour la dame du bar, j’ai laissé tomber. J’aurais pu acheter mon journal sur internet, le lire sur une tablette™ ou un machin. J’aurais pu avoir des amis sur Facebook™. Je vais faire le chemin à l’envers.

Voilà ce que je voulais écrire pour ne pas sombrer dans le cloud™, l’inconnu, le sans-lien. Et puis je suis allé chez le dentiste pour les enfants. J’y ai vu notre haut degré de civilisation, une hygiène évidente, une moquette propre et un présentoir des revues à lire en attendant la souffrance qui ne viendra pas vraiment. Tout est aseptisé et personne ne s’en plaindra, j’aime l’hygiène quand il s’agit de bouches, c’est pour ça que je n’embrasse pas les femmes qui fument même lorsqu’elles s’appellent Sophie ou Cécile, des prénoms qui me rappellent la génération des filles dont j’étais amoureux : la mienne. Un haut degré de civilisation, même si l’orthodontiste est en retard, même si sa secrétaire est toujours un peu perdue, même si rien n’est parfait.

D’autres enfants jouent dans la salle d’attente et je regarde va-vite Paris-Match™ dont j’ignorais la survivance, alors que je savais pour "Psychologie-Magazine™" : je me plais à l’effleurer au kiosque pour avoir ma dose de rire. Je hais les psychanalystes et les nombrils percés.

Tout allait bien. Il faut absolument se figurer la scène et je la répète. Je ne voulais plus tuer personne, le printemps arrivait - il était même déjà trop tard car la note subtile que l’on attend tout l’hiver était passée : les feuilles étaient là, le vert diffus de fin mars avait éclos, les parcs retrouvaient l’ombre et les fleurs des lilas allaient se tarir comme la place là-bas, où l’on réclamait une certaine forme de liberté mais je ne sais pas trop laquelle. Je répète que tout allait bien : malgré les chômeurs, Manuel Valls et ces gens qui voudraient sauver le monde avant de le comprendre et sans même une théorie du bonheur. Et puis : Ségolène est revenue ! Vous savez, Ségolène, c’est la Mathilde de Brel. Elle se croit gentille mais elle ne l’est pas.

Et puis.

Et puis j’ai ouvert Paris-Match™.

On y conte l’histoire des jihadistes français. Ces gamins des banlieues, ces assassins abreuvés de croyances et pas de dessins animés, ces enfants qui, très tôt, ont envie de tuer pour de bon, pour la 3D™ avec le sang dedans, parce que, savez-vous, les jeux vidéo finissent par lasser : il leur manque l’odeur, la souffrance, les cadavres amputés, la raideur de la mort. Et l’on voit donc les cadavres, les enfants, les autres islamistes™, tous les manipulés des puissances pétrolières, les larrons de la farce, comme le front est d’une Seconde Guerre Mondiale à huis-clos, où le texte nous explique clairement que c’est - aussi - une bonne façon de nous débarrasser des gamins des banlieues un peu agités, car ils brûlent leurs papiers et ne reviendront jamais - une façon de dire que ça n’est pas si grave de tuer des innocents à coups de pierre ou des petits enfants d’une balle dans le cœur puisque ce ne sont ni nos pierres ni nos enfants, alors en langage très propre et DST : qu’ils aillent se faire pendre ailleurs, voire se faire foutre ces voyous d’origine étrangère, même si l’on précise qu’ils sont de la troisième génération, ce qui devrait quand même nous inquiéter je pense.

Et je regarde mes enfants qui lisent Okapi™ sur le tapis propre dans la salle d’attente propre où tout va bien. Il s’agit de corriger la trajectoire un peu hasardeuse des dents de la petite, que j’imagine un jour une balle dans le cœur vous pensez bien : voilà la cible de l’article. On nous y fait croire que les services secrets - l’Etat dont parle les anarchistes - sont au courant de tout et surveillent à distance ces tueurs d’insectes qui sont inoffensifs puisque tout cela se passe si loin. Ils tuent même des pire qu’eux, des tatoués au nom de leur dieu, des fous savez-vous. Ils sont irrécupérables. Nous -mêmes n’avons pas été capables de les élever dans la tolérance et l’universalisme. A force de les montrer du doigt ils ont fini par croire qu’ils étaient ce que nous pensions d’eux, ce qui est arrivé aux Noirs américains bien avant tout le monde, pour le grand plaisir des membres de tous les clans les plus soft de la planète.... Ainsi soit-il.

Et puis la petite a regardé mon journal et vu les gens avec une balle dans la tête. Les enfants avec une balle dans le cœur. Je ne lui ai pas laissé le temps de lire les gros titres et j’ai prétexté d’une guerre très lointaine il y a très longtemps.