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Une pâte à singes

jeudi 23 janvier 2014, par Grosse Fatigue

Avec les deux petits, nous avons pris la décision conjointe d’arrêter la pâte à tartiner.

Avant d’avoir des enfants, tout me semblait simple. Ordre/obéissance. Le modèle refusé à mes parents pour cause d’inadéquation flagrante, je pensais l’appliquer dans la joie avec mes propres enfants. Ce ne fut pas le cas. J’en viens à envier les familles normales où les enfants ressemblent aux parents. Les prolos fument à la sortie de la maternelle et leurs gamins fument à l’arrière des voitures. Les bourges en loden™ et leurs enfants aiment le petit Jésus. Pourquoi est-ce si compliqué lorsque l’on se pose des questions ?

Les deux petits ont finalement accepté, dans un premier temps, d’arrêter la pâte à tartiner, ce truc gras et proprement infect que je mange en cachette moi aussi, à cause d’un naturel porté sur le sucré, et d’une compensation culinaire par le chocolat. Je ne sais pas ce que je compense, je ne veux pas le savoir, toujours est-il.

Dans un second temps, les gamins ont envisagé les conséquences néfastes pour leur santé, parce que c’est gras et peu nourrissant, même si ça fait illusion. Ce n’est pas qu’une anecdote car il a fallu négocier. Nous sommes donc censés terminer le pot et passer à autre chose. Des céréales et des fruits, tout ira bien.

J’en ai rajouté une couche en leur parlant des tueurs de singes qui profitent de la destruction des forêts au profit des palmiers à huile pour aller encore plus loin et plus profond. Ils en ramènent sur les camions qui, eux, trimballent les troncs tri-centenaires de la forêt primaire. Le petit me demande si les chasseurs tuent aussi les bébés singes, comme s’il était plus légitime de ne tuer que les adultes. Les questions ont toujours un revers moral. J’en ai conclu qu’à chaque pot de pâte à tartiner qui rend obèse, on avait tué un singe. Ce qui n’est sans doute pas complètement faux. Peut-être même, peut-être même que les fantômes des animaux disparus viennent s’incarner dans le tissus adipeux des gros afin de les étouffer plus vite, et voir notre sale espère ployer pour de bon sous le poids de la culpabilité invisible de nos estomacs ? A devenir énormes, nous finirons par laisser l’espace libre...

Maintenant que j’ai déposé les petits à l’école, je me demande ce que l’on a tué d’autre pour que je puisse écrire cette bafouille dans le petit matin d’hiver occidental, où j’ai jeté de l’eau chaude sur le pare-brise de la voiture. Combien de morts pour mon confort, ma bagnole, mes vélos en carbone, la bouffe quotidienne et le nucléaire palpitant du minuscule univers numérique en guirlande perpétuelle autour de nos âmes ?

Minuscule univers numérique : oui madame.

Et je sais que les deux petits vivront dans un monde instable et domestiqué, même si la domestication crée l’instabilité, comme les vieux chiens que l’on croyait gentils finissent toujours par mordre à la gorge pour une raison inconnue, une raison pas raisonnable. Les singes auront disparu, les Chinois ne banderont pas mieux sans leurs ailerons de requins, les hommes seront toujours aussi pitoyables et l’imprévu aura de nouvelles origines.

Mais nous aurons tous arrêté la pâte à tartiner, les huiles essentielles, les pesticides, le soja, le.