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Où est passé l’internet libre ?

jeudi 14 novembre 2013, par Grosse Fatigue

Après plus d’un mois et demi de déboires avec l’une de ces étranges entreprises qui vous promet la lune en vous vendant un téléphone portable - le genre d’entreprise qui vous vend aussi de la télévision et beaucoup, beaucoup de béton - j’ai enfin récupéré un téléphone pour mon gamin. Il est sous Androïd™, un système d’exploitation appartenant à Google™. Comme mon gamin me demande de lui mettre de la musique là-dessus, je m’aperçois qu’à partir d’un Mac™, c’est impossible ou bien qu’il faut s’y connaître. Il me dit : "Mais papa, je croyais que t’étais hyperfort en informatique ? "

Oui, j’étais hyper-fort à l’époque où tout était compliqué. Je redémarrai des ordinateurs six à sept fois par jour en enlevant des extensions et je pleurai de joie en voyant le premier film Quicktime™ sur un Mac Quadra. C’était une voiture sur une route de Californie, dans des lacets, qui soudainement s’envolait. J’étais fasciné.

Papa : on s’en fout. Tu y arrives ou pas ?

Oui bon. J’y arrive : on va passer par Bluetooth™ et par Youtube™ parce qu’on peut pas passer par Itunes™ ni par un disque dur externe et en plus, il faut avoir les CDs d’origine parce que bon. C’est un encouragement au piratage d’ailleurs, ce qui est paradoxal si tu savais ! Si ton téléphone était vu comme un disque dur externe, on y copierait la musique que l’on a achetée. Là, on copie ce que l’on n’a pas.

On peut pas copier ce qu’on a déjà ?

Si. Mais on n’a pas les mêmes goûts tu sais bien.

En faisant tout cela devant l’œil incrédule de mon déjà adolescent, je m’aperçois que l’internet libre, le logiciel libre et même l’informatique un peu libre ont totalement disparu. A peine connecté, son téléphone coréen me demande via un programme Google™ si je veux sauvegarder mes mots de passe en ligne. J’ai à peine le temps de refuser que la synchronisation est déjà faite et que les identifiants de ma Freebox™ flottent quelque part dans le nuage de données qu’analysent les experts de la CIA ou du KGB à chaque seconde qui voit ma vie rétrécir. Puis mon nom apparaît ainsi que l’un de mes emails, afin d’ouvrir un compte Gmail™ au gamin. Dès que sa soeur entend cela, elle en réclame un aussi. J’espère que les deux derniers sont devant un DVD. Fini l’étanchéité et la Princesse de Clèves™.

Papa, qu’est-ce qui t’arrive ?

Je me souviens du temps des promesses. Même avant internet, j’avais l’impression que l’on pouvait encore bidouiller les machines pour en faire ce que l’on voulait en faire. Puis l’internet libre est arrivé. Le logiciel libre aussi. Je n’y ai jamais cru mais je rêvais d’avoir tort. C’est parce que je sais bien que les libéraux ont raison à ce sujet. Le travail gratuit, c’est bien. Mais le développeur, ça s’achète. Je savais qu’un jour, le libre qui n’était pas complètement gratuit - c’est du moins ce que l’on commença à dire de lui - finirait payant ou très essoufflé. De là à penser que le logiciel commercial irait jusqu’à la Gestapo™, contrôlant en permanence mon identité pour filer mon email à des femmes Cougars™ habitant à Dinart alors que je vis à Bordeaux mais me faisant croire qu’elles sont de mon quartier c’est, c’est !

Papa, ça marche pas. Et je comprends rien à ce que tu dis.

Je dis qu’il faut re-brancher ton téléphone parce qu’il est à plat. Je dis que des gens inconnus savent déjà tout de toi. De la musique que tu écoutes, du nom de ta correspondante polonaise (Inimaginable), du sport que tu adores mais ça n’est pas le pire.

C’est quoi le pire ?

Le pire, c’est que tu trouveras tout cela tout-à-fait normal et que je n’ai jamais eu le courage d’en faire un vrai livre. Avec des anecdotes dedans et du fond. Orwell et Huxley se sont trompés : pour la servitude, nous serons volontaires. Il suffisait de passer par la case confort.