Tomber plus bas - Le marketing des signaux faibles

Dimanche matin le radio-réveil démodé fait son métier en me parlant de François Hollande. Je ne rêve plus. Les yeux collés et le dos raide, j’entends François Hollande. Enfin non, ce sont des archives. Il paraît qu’il se tait. On s’en fout, n’est-ce pas qu’on s’en fout ? Pourquoi nous parler de ça un dimanche matin ?
D’autant plus que j’ai mal dormi. J’ai vu la veille en devanture d’un quelconque kiosque à catalogues publicitaires une tentative d’explication en grosses lettres du phénomène du DJ qui vend le plus au monde et qui se trouve être, comble de honte, le frère d’un journaliste politique : Bernard Guetta. En y réfléchissant, voilà bien la preuve que l’intelligence n’a rien d’héréditaire, ou alors leurs parents étaient vraiment très opposés et le Bernard a eu de la chance d’hériter du parent normal.
Le problème est que j’en ai rêvé. J’ai vu la tête de ce type absolument ignoble dont je ne peux citer le prénom. J’ai vu ses goûts de chiottes là où un Donald Trump passerait pour l’avant-garde du raffinement zen. J’ai vu le niveau dérisoire de ses ventes comparé à l’époque où la musique était faite par des musiciens, certes assez simplistes, mais quand même. J’en venais à regretter Freddy Mercury en concert avec Queen et mon slip en zinc, revendu après sa mort.
Roy a alors frappé à ma porte. Il lit dans mes pensées, c’est la force d’un Américain qui a fait du marketing : les signaux faibles, il connaît, ça fait partie du marketing de son pays. Il me dit :
 Toi, tu rêves d’une platine-disque et d’un bon vieux 33 tours. Figure-toi qu’on sait faire. Ça s’appelle le segment du vintage. On sait faire. On sait que les types de ton âge en ont un peu marre d’entendre de la merde en boîte, et que, âge oblige, ils aimeraient un tourne-disque pour la chaleur d’autrefois, les craquements de leurs 17 ans et les seins de Delphine. Tu te souviens des seins de Delphine ?
Je réponds que oui. Delphine avait des poils autour des mamelons. Un peu comme Freddy Mercury mais elle chantait moins bien. Quand elle m’a plaqué, j’ai rencontré Marie-Pierre qui avait aussi des poils aux mamelons. Après ces deux-là, j’ose l’avouer, et donc entre 18 et 21 ans, je n’ai pas regardé les filles. Abstinence totale. J’avais peur.

Roy m’explique :
 Pour ça aussi on a du marketing des signaux faibles. Les forums d’adolescentes sur internet grouillent de filles qui ont des poils aux mamelons, comme Freddy Mercury. Et bien figure-toi que l’on a créé un épilateur laser (made in China) exprès pour ça. Gros succès. Le marché chinois s’en désintéresse, mais la Turquie et le Portugal sont très demandeurs. Tu sais, même Pamela en avait ! Et pourtant, elle n’avait pas encore de seins ! T’imagines ? Des poils aux mamelons et pas de seins ! Pour une fille qui allait exploser dans le porno, c’est pas la honte ?
Si que je lui dis. Mon dimanche matin commençait bizarrement. Pamela est entrée dans ma chambre et a voulu m’initier à des jeux sexuels inédits en me connectant directement à l’internet 3 et à une sorte de twitter érotique avec des câbles et des trucs gluants. J’ai enfilé mon cuissard et mis de l’eau dans mon bidon. Les gars de mon club m’attendaient à 9 heures, fidèles au poste.
 T’as pas l’air frais qu’ils me disent. (Je précise qu’ils arborent des tenues de cyclistes bariolées et qu’ils me font penser au fameux DJ français roi des crétins).
En les regardant bien, je m’aperçois qu’ils avaient tous un masque de Freddy Mercury, ce qui la foutait mal pour les routes du coin. C’est pas qu’on a des trucs contre ces gens-là, mais faut dire quand même que faut pas exagérer.
 Ben les gars, pourquoi vous êtes tous en Freddy Mercury ?
 Parce qu’on en a marre des DJ ! On veut des hommes, des vrais, des poilus. Accélère pas dans la côte ! Attends Daniel qu’est encore un peu bourré depuis hier soir (rires derrière moi).
Tu nous l’amènes quand ton Roy, là, celui dont tu parles dans ton site ?
Ben je sais pas trop. Je ne sais pas quoi leur répondre après tout. Ils sont en majorité retraités. Assez normaux. Ils me parlent de Pamela, ils me demandent si elle existe vraiment.

Bien sûr qu’elle existe vraiment. Autant que le DJ nauséabond (SIC), autant que nos vies contemporaines. Tout existe. C’est ça qu’est dingue. Tout existe.

Avant d’enregistrer ce texte, Roy me dit :
 C’est pas un peu nul comme texte ? Y’a pas de pitch, tu dis n’importe quoi. C’est pas comme ça que tu vas avoir des visiteurs ! Tu parles même pas d’épilation laser sous hypnose ! Ça se fait, tu sais !

Je dis oui. Décidément, tout se fait.