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Facebook™ : le meilleur des mondes et Léo Ferré

mercredi 19 juin 2013, par Grosse Fatigue

J’ai un compte Facebook™. J’y vais de temps en temps pour voir ce que des gens se racontent. Je n’ai pas bien compris au début. J’ai mis des trucs idiots, à mon image, et Joëlle m’a jeté, non seulement je n’ai pas évolué depuis dix ans, mais en plus, je n’ai pas évolué depuis trente ans. Ce fut comme un premier avertissement. Facebook™, c’est du sérieux.

Je suis assez allergique au sérieux. Je ne le conserve que pour les enfants gravement malades.

Mais pas les autres. Les gens font les choses très sérieusement.

J’ai écrit sur la page de David tous mes doutes quant aux qualités musicales du grand Léo Ferré. Je précise qu’il est grand, parce que c’est l’intention qui compte. Il a écrit des trucs fabuleux, et "Avec le temps" est la chanson la plus triste au monde, et la plus réaliste. Mais j’ai des doutes. J’arrive à chanter "C’est extra" sur tous les morceaux de Ferré que je connais. Même tonalité. Un peu pauvre donc. J’ai juste émis un gros doute sur les qualités musicales de Léo. On pourrait dire la même chose de Brassens. Mais je n’aime pas Brassens. C’est très bien Brassens mais je n’en écoute jamais. Pom-Pom-Pom-Pom Pom, la pompe à la contrebasse et les rengaines, pas mon truc. Je sais que c’est mal et je n’irais pas l’écrire sur Facebook™. Je n’aime pas non plus "Ne me quitte pas" parce que c’est pleurnichard et qu’en amour, il faut vénérer la fuite grandiose et mépriser le racrapotement. Je n’irais pas dire ça sur Facebook™.

Sur Facebook™, on est entre soi. Au moins ici, je suis tout seul.

Mais vraiment de plus en plus seul.

Si j’écrivais ça sur Facebook™, des gens d’accord avec moi appuieraient sur le bouton "J’aime" et ce serait le meilleur des mondes. J’aurais sans doute des amis aussi détestables que je ne le suis. Les autres passeraient leur chemin.

Ce n’est pas ce qui est arrivé sur le compte de David. Je sens que les gens pas d’accord, des gens d’une autre génération, n’ont pas compris le message. Ces gens-là ne savent pas que l’on peut ne pas être d’accord et essayer de le dire. Pour une fois, j’ai essayé de le dire simplement dans le registre du doute. Et ces gens m’ont précisé qu’ils quittaient la discussion. Et mon ami David m’a dit que j’étais lourd. J’ai relu ce que j’ai écrit. Ça n’était pas lourd, c’était inadéquat. Dans le Meilleur des Mondes, il faut s’aimer. Et je découvre donc ce nouveau monde communautaire - au sens le plus servile - où les gens identiques se rassemblent. Même l’extrême-droite la plus extrême s’y montre dans son entre-soi, des filles débridées dans leur entrejambe, des passionnés de ceci-cela attendent leurs équivalents. Le débat n’existe donc pas.

J’aurais dû m’en douter. J’aurais dû m’en foutre.

Mais Roy me reprend. Ma conscience américaine précise :

- "Comme tu es naïf mon pauvre. Facebook™, c’est le meilleur de l’Amérique pour tous. C’est la communauté réduite, et c’est la démocratie dans notre genre. Rien à voir avec ton Etat-Nation ou ta république. Tout ça, c’est du vide. Facebook™ ou l’Amérique, c’est la démagocratie. C’est comme la démocratie, mais sans la volonté voltairienne d’élever le peuple au-dessus des bassesses et des petits arrangements. Ce sont eux qui nous font vivre. Et c’est comme ça que l’on peut résoudre les conflits. L’apartheid communautaire limite les dégâts. Voilà pourquoi nous l’encourageons. En plus, ça permet de mettre tout le monde en fiches et de les revendre au plus offrant. D’une pierre deux coups. Tu devrais faire la même chose. Rester avec ceux qui te ressemblent, ceux de ton âge, ceux qui ont tes goûts et tes couleurs...."

J’ai interrompu Roy. Une conscience américaine peut être assez rapidement interrompue. Je me suis senti à nouveau très seul.

Je cherche maintenant à mettre un bouton "J’aime" sur cette page.