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L’humanisme des punks à chiens - Acte II

mercredi 6 mars 2013, par Grosse Fatigue

Je descends du train il pleut, enfin il bruine, je rentre chez moi, je me rentre chez moi : je me traîne lentement, la journée est finie. J’ai lu un bon livre dans le train, ça m’énerve, j’en suis incapable, je ressasse. Je ne pense qu’à moi en descendant les marches et je les vois là, à gêner tout le monde.

Des punks à chiens.

Elle : la capuche et les putains de chiens. Le soir après le travail l’anarchiste qui sommeille en moi sommeille pour de bon, je me fais bourgeois parvenu et je rêve du souper et des pieds sous la table : je suis un beauf pressé.

MÊME SI JE ME SOIGNE. En lisant parfois des auteurs de gauche.

Donc j’ai honte. Je suis en colère. J’ai honte et je suis en colère contre eux, contre moi.

Je m’approche, elle gueule, putain ce qu’elle gueule contre ses chiens sous sa capuche. Elle éructe sur eux car ils sont à ses yeux la ré-incarnation de la lignée complète de ses aïeux : la perdition des clébards. Les chiens en question baissent la queue et les oreilles, ils ont honte d’avoir à endosser ce syncrétisme hindou-bourdieu de l’atavisme familial ré-incarné. Ces cons de chiens croient qu’ils n’y sont pour rien de la dèche et du ventre-creux et de vas-y que je traîne la misère dans la rue avec les pouilleux. Ce sont des chiens de droite - d’ailleurs, l’un des deux est un berger allemand - et ils savent bien que ces deux-là, s’ils n’avaient pas commencé à faire les fiers en s’injectant des saloperies, seraient instituteurs ou chauffeurs de bus : VOILÀ.

J’essaye de passer, je m’excuse un peu, je bougonne. Et je le découvre lui, à essayer de descendre un caddie™, je ne sais quoi. Sous la lumière crue du réverbère, je découvre emmitouflé sous des couvertures écossaises roses et bleues bien autre chose qu’un Caddie™. Le type essaye de le faire descendre de son mieux et je ne pense même pas à l’aider tant la vision que j’en tire en détournant le regard me peine. Là, face au vent, il y a un bébé vivant et joufflu et rose, les yeux grands ouverts et concentré sur l’avenir, comme responsable de lui à même pas six mois, et je m’y connais en mois de bébés madame, je l’ai regardé une seconde et j’ai baissé les yeux pour éviter la pluie et les larmes des gens que je ne croiserais jamais. Un bébé vif en bonne santé, pas les prémices d’un délinquant, d’une perdition, du naturalisme à la Zola. Comprenez-moi : il est trop tôt pour ça. Juste le bébé d’un couple de punks à chiens, un bébé de six mois sous la pluie fine de mars qui descend l’escalier avec son père pas très frais qui n’est même pas assez fort pour soulever la poussette de ses deux grands bras troués bleus sous son blouson plastique bleu.
Un bébé en France à six mois tout ce qu’il y a de normal qui regarde le film alentour sans savoir que, justement, ça ne devrait pas être normal.
Que faire avec ça, quand on rentre chez soi et que, comme moi, on n’est qu’un beauf ?