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Refuser le quart d’heure de gloire

vendredi 25 janvier 2013, par Grosse Fatigue

J’ai refusé le quart d’heure de gloire. J’ai cru à une blague. Une journaliste d’un hebdomadaire national vivant de publicité pour les voitures allemandes tout en pleurnichant avec la croix-rouge™ suisse m’a proposé d’en savoir plus sur moi, alors que, justement et trois fois hélas, je sais déjà tout sur moi et que ça va bien comme ça. Elle insiste et signe, me jette ma paternité des blogs, beurk en général, ainsi que mon ancienneté sur le web en pâture, moi qui suis un partisan du mérite et du travail, bien que détestant le travail et étant atteint du traumatisme de la procrastination depuis si longtemps.

Je passe sans doute à côté de quelque chose, une sorte d’enivrement que j’ai déjà connu il y a dix ans, quand à peu près le même hebdomadaire me transformait le quotidien en star nationale sous pseudonyme, la grande classe affublée et dérisoire pour quelques années dans ma tête, et dans ma tête seulement. Ce qui m’intéresse ici, c’est sa façon d’insister, comme si les torchons de la presse commerciale pouvaient avoir encore un quelconque pouvoir sur mon avenir provincial de père de famille sans élan.

Oui, elle insiste. Au début, comme on fait toujours, elle loue ma prose, ce qui lui coûte moins cher que son appartement parisien. Elle loue comme on loue de loin, comme on parle un peu à un imbécile. Comme on parle à ceux qui ne comprennent pas, les Japonais au Trocadéro, les Chinois perdus dans le forum des Halles. Je me doute qu’elle n’en a rien lu. Je me doute aussi qu’elle a envoyé le même email à trois ou quatre bloggers comme on dit, et qu’elle parlera demain de la nouvelle tendance du slim-food, du prout-drinking ou du remariage tardif.... Elle sait sans doute déjà que tout cela n’est pas d’actualité, que Florence cassée, que Gandrange fermée, il nous faudra toujours du plus nouveau. Mais elle revient à la charge, je la trouve presque charmante. Le nouveau front s’ouvre sur une tactique essentielle : vous aurez de nouveaux lecteurs. Au début, j’aime ce que vous faites, puis, grâce à moi, vous aurez de nouveaux lecteurs. N’est-ce pas ce que vous cherchez ? Grâce à mon audience nationale, vous aurez de nouveaux lecteurs, on est même lus au Québec ! Je lui raconte que j’ai moi-même un comité de lecteurs à Québec, une bande hirsute et rigolote, qui jouent nus en hiver dans les cascades glacées avant de se pochetronner à coup de Martini-Dry pour oublier qu’ils auraient pu vivre à Nice toute l’année s’ils s’étaient appelés Lance Armstrong. Elle en reste bouche bée, du moins à ce que j’imagine par silence interposé, l’écran allumé la nuit. Je crois qu’elle va abandonner. Mais non. Elle insiste finalement. Ma CRÉDIBILITÉ. La clef du problème. Grâce à son hebdomadaire torche-fion financé par des marchands d’armes, j’accède enfin à la crédibilité du média écrit avec comité de lecture, je deviens enfin ce que je devrais être, la voilà démiurge, enchanteresse quoique encore un peu hautaine et parigot tête de veau allez savoir, mais au moins, elle me le dit en une petite phrase :

- "C’est pour vous aider."

Mais à quoi ? A quoi bon ? M’aider ? Comme le dit Joëlle - c’est d’ailleurs la dernière chose qu’elle m’aura dite - c’est la même chose depuis 10 ans, et ce sera la même chose dans 20 ans. Il vaudrait mieux m’aider à me taire et à passer à autre chose.

Je regrette déjà de l’avoir envoyée sur les roses, mais cette souffrance a ce petit fond agréable, comme quand, enfant, j’étais malheureux et seul en voyant les enfants des voisins jouer au tennis, les observant dans ma cachette secrète, du haut d’un mur de lierre si vieux qu’il se faisait comme Africain. J’étais très seul et très malheureux mais c’était comme ça, comme une nature qui n’en finit pas.

Merci madame.