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Vendre son âme à la Chine

mercredi 16 janvier 2013, par Grosse Fatigue

J’ai autrefois eu des sous-traitants coréens. Pour quelques centimes de francs, ils devaient taper mes humeurs dans le monde du Web 1.0, cet univers nouveau où les détritus des gifs animés côtoyaient les écritures inventives, les bricoleurs partageurs, les défricheurs. Ce monde-là est mort et mes Coréens ont préféré se lancer, avec succès, dans la vidéo boum-boum gros lard planétaire, genre qui plaît facilement parce qu’il est compréhensible par le plus con d’entre-nous. Le web n’a pas changé grand-chose aux opinions des gens, pas plus que les téléphones portables n’ont amélioré le sens de la politesse dans les trains à grande vitesse. Rien ne change si ce n’est qu’il n’y aura plus d’emploi pour tous les gens incapables de se vendre aux Chinois, aux Qataris, aux actionnaires de la Vache qui Rit.

Il faut se vendre putain, il faut se vendre.

La putain le sait bien et me répond derrière l’écran. C’est une Chinoise de chez nous avec des seins énormes. Depuis que j’ai raté la quarantième mise à jour de ma femme réelle, je paye du temps de parole à l’écran avec des putes virtuelles, vulgaires mais propres, et solitaires comme au premier jour. Les bars qui les stockaient à Pigalle se meurent, les Ukrainiennes ont mieux à faire, c’est mercredi et je fais des crêpes aux enfants dans un monde en déliquescence, écoutant un juif polonais parler en anglais chez Mermet. C’est un vieux marxiste sans complices, ce qui lui donne une certaine force. Je mets en pause ma pute chinoise pour essayer ma pâte à crêpes sur la poêle qui n’accroche pas. Nous partageons au moins cela elle et moi. Les infos parlent de Bernard Tapie. J’ai envie de me jeter dans ma mare, avec un parpaing autour du cou.

La Chinoise me voit aussi. Je ne m’en rends pas compte au début. Au lieu de se déshabiller, elle se rhabille et me demande si les crêpes sont bonnes. Je lui demande si elle trouve normal qu’une copine m’ait supprimé de ses amis de Facebook™ parce qu’elle posait avec un chanteur bidon et célèbre et que j’avais commenté en lui disant de bien se laver les mains après. Elle est tout-à-fait d’accord. Il faut bien se laver les mains quand on fait la pute, elle en sait quelque chose. Elle aime Nat King Cole et Gregory Porter, elle a bon goût. Elle est en mastère 2 de philosophie. Elle a besoin de tunes aussi vrai que ma caissière chez Intermarché.

Je m’excuse tout de suite. J’ai cru qu’elle me disait qu’elle avait besoin d’Itunes™, j’ai eu un peu peur.

Elle ne m’en veut pas. Elle m’explique que pour mes textes, elle a des cousins qui écrivent bien en français et qu’on pourrait faire un essai pour voir, ça me libérerait du temps pour les crêpes, les enfants, mon divorce et puis mon suicide™. Je lui demande quand même si l’on ne pourrait pas se caresser elle et moi avant la fin et la voilà qui accepte : c’est cent Euros, en lettres, note-bien chéri me dit-elle. Beaucoup moins vulgaire.

Je lui dis que j’ai 150 lecteurs en chiffres dans mes statistiques. Je lui dis que vraiment, les gens ne font pas d’effort. Je la sens lasse. Elle a un autre client et m’envoie des baisers avec la main. Elle me recontactera.

C’était un rapport à l’écran, à l’écran plat, mais c’était bien.

Je regarde les gamins qui descendent de l’escalier avec une grosse envie de crêpes, aussi grosse que le chagrin du matin en ne voyant pas la neige. Que vont-ils faire un jour dans ce monde plat ?