GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Roy, Rogan et Pamela > Roy et Rogan

Roy et Rogan

samedi 22 octobre 2011, par Grosse Fatigue

- "Steve, ne fais pas ça, nous allons mourir !
- Pamela, je t’aime. Je ne ferais rien qui puisse nous mettre en danger.
- Mais Steve, ils vont nous tuer.
Steve, s’adressant à Rogan :
- Rogan, que fais-tu ?
- Je vais faire ma ronde. Comment puis-je te faire confiance, Steve ? Tu n’es qu’un pleutre.
- Steve, n’y va pas ! dit Pamela.
- Je dois y aller mon amour. Rogan prend tous les risques.
- Sois prudent. C’est un connard. Ils vont nous tuer.
- Ils ne nous auront pas. Nous pourrons nous sauver.
- Même avec un blessé dans la caravane de papa ?
- Nous sauverons Roy. Nous sauverons sa femme et nous sauverons l’enfant.
- Vas-y Steve, je crois en toi.
- Tu te magnes un peu ? dit Rogan."

De mémoire, le film disait à peu près ça. C’était un genre de série Z post-apocalypse tournée chez un ferrailleur pas cher du Tennessee, avec des crocodiles dans les marais, des zombies transgéniques et des caravanes en tôle chromée. J’adore. Purement débile. Pamela était le type de nana désirable en rêve. Mais pour la discussion, je préfère les moches. Steve ressemblait à un copain de troisième qui louchait tout en restant fier, qu’on aurait refait à la va-vite chez un chirurgien plastique expérimental de Corée du nord. Ça existe, c’est comme ça. Rogan, c’est le méchant. Il veut tuer Steve et se taper Pamela. Pure logique. A sa place, après la fin du monde, je n’aurais pas autant de scrupule. Il y a un type dans la caravane qui a de la fièvre, symbolisée par un flot constant d’huile de tournesol (sûrement un surplus texan) dégoulinant sur son front. C’est pour nous prévenir : il va crever. C’est même pas bien fait parce que sa barbe est super bien taillée.
Enfin bon. Tout ça, c’est des conneries. Normalement, après la fin du monde, c’est pas possible.

Mais c’est pour ça qu’il faut tenir.

Coûte que coûte.
Je regarde ces images derrière la porte translucide du wagon. Je lis par dessus l’épaule d’un pauvre type très sérieux et suréquipé, en attendant l’arrêt du train. Il tape son code sur le clavier virtuel de son Iphone 4. STEPHANIE85. Il répond à des messages assez lacunaires de la main droite. Il tient son Ipad de la main gauche. Il regarde Roy à l’écran qui va crever tout en écrivant à un comptable sur l’état des stocks. Le truc vibre à nouveau. Il retape STEPHANIE 85. Il y tient.
On annonce le train en gare.
En face du mec de Stéphanie, une femme BCBG plisse des yeux sur une publicité. Elle est intriguée. Puis elle décroche son Iphone 3GS blanc dans son étui à 30 Euros en solde à la FNAC. Derrière elle, celui qui était encore mon voisin il y a cinq minutes boit du vin dans une bouteille en plastique. De la Payse. Du lourd. En faisant des Sudokus auxquels j’ose mettre un "s".

Rogan me tape sur l’épaule.

- "C’est toi Grosse Fatigue ?
- Euh, oui, c’est mon pseudo. Qu’est-ce que tu fous là Rogan ?
- Je suis venu faire ce que tu n’oses pas faire. Je viens pour toi.
- C’est sympa, mais, bon, tu passes pas inaperçu dans ta tenue de combat ! On dirait Jean-Claude Vandamme qui sortirait de chez le dentiste ! T’es dingue ou quoi ? Pourquoi tu charges ton fusil à pompe ?
- Ben, pour les tuer, qu’est-ce que tu crois ! Je suis l’incarnation morale du Lumpen-Proletariat international (Il prononce avec un accent allemand, une sorte d’hommage). Tu comprends, ces gens-là, ceux qui peuvent faire plusieurs choses à la fois, les omnipotents, c’est à cause d’eux…
- Mais quoi donc ? Mais quoi ? Rogan ? Dis-moi ? (Je l’implore, il va tirer ! Du bout du canon, il me montre les connectés de tous poils.)...
- C’est à cause d’eux qu’on délocalise. Si les Chinois n’étaient pas sous-payés, ceux-là seraient en train de lire le dernier Jim Harrison ou Une Vie Française, de Jean-Paul Dubois ! Des vrais livres, sur du vrai papier !
- Mais tu l’as lu le dernier Jim Harrison ?
- Je suis ta conscience, souviens-toi !
- Ah merde, t’es donc au courant pour Pamela et moi ?
- T’inquiète pas, je le dirais à personne. En attendant, il faut que j’accomplisse la prophétie de Montebourg : en finir avec la classe de loisirs.
- La classe de loisirs ? Veblen ? Thorsten Veblen ?
- Exactement. C’est devenu la classe du gadget communiquant. Ceux-là nous pompent l’air en faisant fabriquer des trucs pour aller encore plus vite. Tout ce qu’il nous faut, tu le sais bien, c’est des potagers bio.
- Rogan, je t’aime que je lui dis. Mais ils vont pas souffrir quand même ?
- Pas plus que les enfants en Inde qui bossent à six ans dans des mines de chaussettes ou de strings léopard.
- Rogan, tu es un nouveau prophète.
- Oui.
- Rogan, merci.
- J’t’en prie."

Je l’ai salué en descendant du TGV. Il avait l’air béat. Un air de prophète. La radio crachotait sur le quai. Le taux de chômage reculait dans le monde entier. Mon voisin abandonnait son idée de goudronner sa cour. Ma bite revivait à vue d’oeil et des centaines de jeunes femmes convergeaient vers moi, merveilleux moment, m’implorant de les satisfaire, car c’était mon rôle.

Rogan, encore merci.

Et puis les messieurs en blouses blanches avec un gyrophare sur la tête sont arrivés. Ils criaient : "Y’a un Montebourg sur le quai N°2, allez chercher l’épuisette ! Allez chercher l’épuisette ! "
Après je ne me souviens de rien. Un Lionel Jospin peut-être ?