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Qu’est-ce qu’on en a à foutre d’HEC ?

vendredi 21 septembre 2012, par Grosse Fatigue

Un ami me parle de son fils si brillant si poli si premier de la classe. Sa terminale S, sa prépa HEC, son avenir brillant, globalisé, policé et cérébral, la fierté d’un père.

Je l’écoute en pensant à l’écouter lui et rien d’autre mais revient en moi l’élan anti-social de mes seize ans quand j’étais déjà très con et en colère comme c’est pas permis et comme pas un : comme personne d’autre.

Sous mon crâne chauve, ça bouillonne. Sors de mon corps, adolescent !! Putain, ça y est, je ne me contrôle plus ! Pourtant, ce type est un proche, je l’apprécie tout autant qu’il m’admire et vice-versa, y’a pas de mal à se faire du bien, quand même : on est seul dans l’univers.

Je lui dis, très fort :

PUTAIN QU’EST-CE QU’ON EN A À FOUTRE D’HEC ? SAIS-TU QUE TON FILS POURRAIT ÊTRE GUITARISTE ?

Ça a jeté un froid dans la caféteria orange revival Hendrix déjà mort. Un gros froid.
Il m’a dit non mais ça va pas ?
J’avoue qu’Hendrix et les autres sbires me manquent un peu dans le conventionnel ambiant. Même s’il est difficile d’élever ses enfants dans un ampli Marshall™ à lampes, il est tout autant dur, voire impossible, de ne pas laisser l’enfant qui sommeille en moi pousser une gueulante de temps en temps, comme le prophète dans Total Recall.

Qui a donc tué les enfants dans les têtes des adultes ? Depuis quand les Matchbox™ et les Majorettes™ ont été remplacées par des vraies bagnoles avec des vrais cons à l’intérieur ?

- Tu comprends, ton fils, excuse-moi, je me confonds en excuses, mais ton fils, c’est pas du gâchis, c’est du premier choix, il joue du piano, il, enfin, il pourrait être artiste. Je lâche le mot sans ambition, sans prétention, à reculons déjà : j’ai honte. Qu’est-ce que j’avais pas dit là et de quoi tu te mêles ?

Mais ferme-la donc à l’intérieur je me répète en boucle. T’es pas sur internet là, c’est pas un dépotoir, ce mec-là, c’est son fils, bientôt le tiens, il n’est plus temps, il n’est plus temps de rien, je cherche un alexandrin, quelques pieds de nez et une pirouette en regardant le café formaté machine par le franchisé du coin. Je pique un fard, mon côté kleptomane et je ferme enfin ma gueule en repensant à Gibus, un copain déjà bedonnant en quatrième dans sa blouse, un copain dont on se moquait et auquel j’avais dit que Dire Strait, c’était de la merde. Le début de ma débâcle. J’ai longtemps regretté de parler aux gens et de donner des conseils, mais là, c’en était trop.

Mon collègue me dit (ah oui, c’est un collègue, j’ai confondu, nuance donc), mon collègue me dit : je sais pas quoi te dire.

Je dis moi non plus rassure-toi, si ça peut te rassurer, moi non plus tu sais.

On était bel et bien seuls dans l’univers, lui et moi.